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Tribune


01/09/2003


À propos de Rome II



 

Rome II relève d'une matière éminemment technique : celle qui touche à la détermination de la règle de conflit dans le cadre des obligations non contractuelles. Les internationalistes prendront sans doute plaisir à ce régal d'abstraction.
Passée cette première impression, l'attention peut et doit se fixer sur les lignes directrices mises en œuvre. Elles touchent pour ce qui nous intéresse à deux domaines particuliers : celui des délits commis par voie de presse (successivement désignés « Diffamation » puis « Atteinte à la vie privée et aux droits de la personnalité ») (art. 6) et les atteintes à la propriété intellectuelle (au sens large c'est-à-dire incluant la propriété industrielle) (art. 8).
Le but général poursuivi par ce projet de règlement est de mettre fin à la cacophonie entre les règles de conflit par lesquelles les États membres déterminent la loi applicable en présence d'un litige international. Ce projet s'inscrit dans l'entreprise d'harmonisation d'un espace judiciaire européen menée depuis 1967. Il fait suite à Bruxelles I (ex-convention de Bruxelles du 22 sept. 1968) sur la reconnaissance mutuelle des décisions de justice et les règles de compétence dans l'espace européen, et Rome I (convention entrée en vigueur le 1er avril 1991) sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
Rome II se présente comme le prolongement et la clôture de cet édifice.
L'intérêt de ce projet, prochainement soumis au Parlement européen, tient autant à son contenu actuel qu'à celui de son avant projet auquel il a en quelque sorte “contre réagi”.
Mais au delà de l'organisation interne de Rome II, qui demanderait un examen plus détaillé du fait de sa complexité, c'est l'éclairage qu'il porte sur l'activité d'édition de presse qui doit retenir prioritairement l'attention.
I. Quel contenu? Rome II s'articule essentiellement autour de deux principes : - Recentrage de la règle de conflit sur une notion stabilisée et favorable à la victime : la loi du « pays où le dommage survient » sera la loi généralement retenue (art. 3-1). Cette définition exclut explicitement le pays où le fait générateur du dommage s'est produit (mais aussi les pays où le dommage aurait pu produire des conséquences indirectes). Son effet radical est cependant tempéré par une disposition réservant une autre loi si le centre de gravité de la situation est manifestement celui d'un autre pays (art. 3-2).
- la loi applicable désignée par la règle de conflit n'est pas limitée à celle des États membres (art. 2), une loi étrangère à l'Union peut donc être appelée pour régler la situation litigieuse.
Une fois ces principes énoncés, viennent des règles censées organiser des situations particulières parmi lesquelles les questions touchant à la propriété intellectuelle et aux atteintes commises par voie de presse.
• Ce qui intéresse la propriété intellectuelle se trouve réduit à sa plus simple expression. L'avant-projet ne contenait rien à son sujet et de bonnes raisons militaient en ce sens : la matière est trop directement réglée par des conventions internationales (1) et marquée du caractère foncièrement territorial de ces droits.
La solution finalement retenue est la reprise du critère (clarifié, il est vrai) de la Convention de Berne : la loi applicable sera celle du « pays “pour” lequel la protection est revendiquée ». Cette solution ne fait que s'aligner sur la priorité donnée au droit uniforme né des conventions internationales et telle que reconnue à l'article 25 du projet.
Aucune esquisse de solution des questions d'actualité soulevées par les litiges transfrontaliers du fait de l'internet ne se trouve donc engagée.
• Ce qui touche aux atteintes commises par voie de presse est franchement plus contrasté. L'avant-projet considérait que le pays où réside la victime doit être, pour ce type de délit, le pays immanquablement désigné (puisque le préjudice est essentiellement de considération…) et retenait donc, sans exception quelconque, la loi du « pays où la personne lésée a sa résidence habituelle au moment de la survenance du délit » (art. 7 de l'avant projet).
Devant le nombre, la véhémence et la pertinence des critiques, un nouveau texte est intervenu figurant à l'article 6 du projet. Sa rédaction est aux antipodes du style réducteur du précédent. Le principe retenu est celui de l'article 3 et de ses tempéraments.
Pour le cas où la loi désignée est une loi étrangère se révélant contraire aux principes fondamentaux en matière de liberté d'expression et d'information, la loi du tribunal saisi sera applicable (2). Enfin, la loi de résidence habituelle de l'éditeur sera applicable aux droits de réponse et «aux mesures équivalentes » (sic).
La question est de savoir si ce panachage prend la mesure de la question à traiter.
II. Quelles conséquences ? Revenons au principe directeur de la Commission : « aboutir à l'identification claire du droit applicable ».
D'un point de vue purement technique, les solutions alternatives prévues à l'article 6 ont perdu en prévisibilité ce qu'elles ont

gagné en souplesse. Quatre lois en effet peuvent se présenter selon la situation: loi du pays où le dommage survient ou menace de survenir (art. 3-1), loi du tribunal saisi (art. 6-1), loi de résidence de l'éditeur (art. 6-2), ou loi de tout autre pays dans lequel le centre de gravité de la situation serait caractérisé (art. 3-3).
Si l'on se concentre par ailleurs sur la seule loi du pays où le dommage survient, la confusion s'impose à l'éditeur : cette loi peut-être celle(s) de tou(s) pays dans le(s) quel(s) sa publication s'est trouvée diffusée (3). Ce pluriel est inquiétant. Si l'on rajoute enfin que la mise en œuvre de ces critères est sujette à contestation, le tableau se noircit franchement (4) : comment comprendre les «liens manifestement plus étroits» de l'art. 3-3? Comment apprécier une loi « contraire aux principes fondamentaux en matière de liberté d'expression et d'information» de l'art. 6-1? Que sont les «mesures équivalentes» de l'art. 6-2 ? La solution préconisée par la Commission aboutirait-elle dans les faits à l'opposé du but recherché ? L'essentiel n'est cependant pas là : il repose sur le postulat selon lequel la “loi naturelle” en matière d'édition serait la loi de la victime.
Si ce principe est raisonnable en d'autres domaines rien ne justifie qu'il soit étendu mécaniquement en matière éditoriale.
Le point radicalement non considéré touche au fondement de notre organisation sociale : la fonction même de l'activité éditoriale. Non seulement il s'agit de l'exercice d'une liberté fondamentale (garantie constitutionnellement par l'ensemble des États membres et qui doit dans son principe prévaloir contre des intérêts particuliers) mais il s'agit d'une activité, qui, à la différence de la plupart des autres, est par nature constamment menacée par des intérêts publics ou privés considérables.
Le plaignant est moins victime qu'il n'y paraît et son but vise souvent moins la réparation qu'une condamnation suffisamment dissuasive pour la presse de s'intéresser à son cas.
La liberté de la presse, plus largement celle d'éditer sous toutes ses formes, est par définition fragile.
Pour l'exercer, l'éditeur et tous les auteurs qu'il accueille, se placent sous la protection de la loi qui est la leur. On ne peut les en priver en favorisant par principe toutes les victimes : ce serait bouleverser un rapport de forces qui, par nature, il faut le rappeler fortement, est et sera toujours en faveur de toutes les formes de pouvoir. Le choix est ici de nature politique.
III. Une proposition ? Si ce point est raisonnablement entendu, reste à déterminer ce que pourrait être “la loi de l'éditeur”. Cette recherche est entreprise spontanément par une certaine jurisprudence en présence de délits transfrontaliers commis via internet (5). Dans tous ces cas le juge s'interroge sur la “destination principale” de la publication.
Elle peut coïncider avec le pays du siège de l'éditeur mais s'étendre également à d'autres territoires et donc à d'autres lois quand l'activité éditoriale vise des lieux de diffusion autres que le pays de sa résidence et dont il appartient alors à l'éditeur de s'assurer de la maîtrise. Ce critère est-il objectivable ? Sans nul doute à partir de la langue (ou les langues selon le cas) utilisée(s), du ciblage des investissements promotionnels sur telle destination, enfin du contenu éditorial.
Ce critère est-il conceptualisable ? Il pourrait se structurer autour d'une présomption tirée de la langue (ou des langues) utilisée(s) avec possibilité de renversement soit par l'éditeur qui démontrerait l'absence de diffusion intentionnelle ou significative de la publication sur tel pays de même langue que cette dernière, soit par le plaignant qui inversement pourrait à partir de ces mêmes éléments demander l'application de la loi d'un pays de langue autre que celle de la publication et où cette dernière serait effectivement exploitée.
Dans l'hypothèse du maintien de la jurisprudence Shevill (6), il serait raisonnable de soumettre l'appréciation du litige dans sa totalité à la seule loi du for lorsque le plaignant saisit le tribunal du siège de l'éditeur pour connaître de la totalité du dommage: Moins de frais et moins d'aléa pour chacune des deux parties, avec pour autre avantage l'alignement des pratiques des tribunaux répressifs et civils en présence de situations particulièrement ouvertes à ces deux compétences.
Cette solution permettrait également de dépasser l'opposition “pays d'émission/pays de réception” à l'égard des éditeurs numériques qui se trouveraient ainsi traités à l'instar des éditeurs de presse traditionnels.
Le correctif de l'article 3-3 rétablissant le centre de gravité de la situation pourrait être introduit afin de répondre à des situations exceptionnelles.
En matière de propriété intellectuelle, ce critère pourrait théoriquement opérer pour les mêmes raisons. En l'état actuel, un éditeur qui légitimement fait usage du droit de citation propre au pays où il édite peut se retrouver en infraction dans un pays étranger dont la définition de l'exception de citation serait plus exigeante et où son ouvrage aurait été fortuitement exposé ou diffusé. Une telle solution est inacceptable dans le monde réel ! L'application du critère de la destination principale y mettrait fin tout en obligeant inversement ce même éditeur à respecter les lois des pays dans lesquels il organise effectivement la diffusion de sa publication et permettrait ainsi de lutter contre les délocalisations suspectes. On a vu avec surprise que le tribunal de grande instance de Paris (7) s'était essayé à cet exercice en matière de contrefaçon de marques… Quant à sa mise en œuvre, elle ne dépassera pas le seuil de difficultés du critère retenu par Rome I qui détermine la loi applicable au contrat « par celle du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits ».
Le résultat ne sera sans doute pas plus aléatoire que celui qui pourrait provenir de l'actuel projet avec son empilement d'exceptions et de correctifs et permettrait accessoirement de purger les obstacles techniques nés de cette construction.
Le Parlement Européen peut jouer sur ces questions un rôle déterminant : il repose en fait sur le prix, qu'au delà des déclarations de principe, les autorités attachent à la presse.
1er septembre 2003 - Légipresse N°204
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