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Tribune


01/10/2007


Mission Olivennes: premières réflexions



 

L'histoire du droit des créateurs est ponctuée de moments intenses qui, d'avancées en crises, marquent comme d'une scansion les temps du droit, de la position des artistes, des exploitants, du public et au final d'une partie du socle commun de culture que partage notre nation. Nous sommes dans l'un de ces temps.
Au centre de ces évolutions, la technique joue un rôle clé: la propriété littéraire et artistique en a croisé sur son chemin tous les perfectionnements. Parfois avec douceur, parfois avec violence, le droit et la technique se sont fait face. C'est à l'une de ces crises techno/juridique que nous assistons depuis quatre ans autour du peerto- peer (P2P) sans qu'une solution satisfaisante pour tous n'ait pu être encore dégagée. Certains affirment que l'histoire technologique est en marche et que rien ni personne ne peut s'y opposer, d'autres que la seule solution consiste à accompagner le mouvement. D'autres encore se refusent à être emportés par une vague, qui, selon eux, engloutit la création.
Les chiffres qui sont fournis sur le téléchargement en P2P sont révélateurs de l'ampleur du phénomène. En France, les estimations varient de 620 millions (1) à 1 milliard de fichiers échangés tous genres confondus . La population concernée par ces téléchargements est très importante puisqu'elle avoisine les 5 millions de personnes, à mettre en relation avec les quelque 30 millions d'internautes que compte le pays. Peu nombreux sont encore ceux qui se risquent à plaider l'absence d'effet du téléchargement sur la crise des industries culturelles, rares sont ceux qui peuvent en chiffrer l'impact réel. Face à l'inquiétude croissante de secteurs économiques qui voient leurs chiffres d'affaires baisser régulièrement depuis plusieurs années, les acteurs appellent de leurs voeux une solution et se tournent vers l'État.
La nécessité d'une réponse nouvelle Jusqu'à présent, il n'apparaît pas que notre pays ait pu dégager une réponse satisfaisante au double constat que, d'une part, le phénomène du téléchargement perdure et que, d'autre part, les consommateurs ne considèrent pas l'offre légale actuelle comme une réponse pleinement satisfaisante à leurs attentes. La figure est nouvelle puisque pour la première fois dans l'histoire, c'est le public – le grand public – qui est au coeur de la crise.
Il ne s'agit plus – ou plus seulement – de l'affrontement d'intérêts industriels divergents mais bien d'un ballet heurté à trois : public/industries/titulaires de droits. C'est parce que la figure est nouvelle que les équilibres sont délicats à trouver et que la méthode en réponse doit être adaptée.
Le président de la République a indiqué clairement la nécessité d'un règlement dans le respect de la légalité, des intérêts économiques des parties prenantes et bien évidemment des consommateurs (2). La ministre de la Culture et de la Communication a souhaité traduire ce double impératif de rigueur maîtrisée et de dynamisme en confiant à Denis Olivennes une mission sur la lutte contre le téléchargement illicite et pour le développement des offres légales d'oeuvres musicales, audiovisuelles et cinématographiques (3).
Dès l'abord, le choix du tout répressif est écarté car il n'apporte pas toutes les solutions ; personne ne saurait s'en plaindre, d'autant que sur internet, on le sait, la capacité de contournement de la contrainte est plus forte qu'ailleurs. Ce rejet de la répression pure n'interdit pas la sanction, mais il traduit la prise en compte de la sociologie complexe des internautes qui, pour une part d'entre eux au moins, habillent leur comportement des vertus de la résistance et pour d'autres ne trouvent pas dans l'offre légale l'efficacité qu'ils sont en droit d'attendre.
Au côté de la lutte contre le téléchargement se trouve donc l'amélioration nécessaire de l'offre légale qui doit conduire le public à préférer la légalité, aussi bien parce qu'elle est plus simple, plus attractive, mais aussi parce que la balance coût/avantage de l'illégalité pencherait en défaveur d'un comportement illicite. C'est donc bien

une problématique de concurrence des offres qui est en cause avec le souhait que le secteur parvienne à une régulation équilibrée sur cette question, en limitant si possible l'intervention de la puissance publique.
Ceci étant dit, la sanction reste de mise pour les internautes qui partagent des fichiers illicites, chacun devant bien sûr réaliser que la création a un coût qui doit être assumé.
Rechercher une réponse composite et adaptable La mission doit donc, selon le cahier des charges qui lui est proposé, entendre tous les arguments des parties prenantes avant de conduire des discussions en vue d'un accord interprofessionnel permettant aux professions concernées de proposer un dispositif complet répondant aux attentes exprimées. Les membres du Forum des droits sur internet sont, dans cette optique, consultés sur chacun des sujets inclus dans le périmètre de la mission, pour compléter la variété des positions qui pourront être exprimées lors des auditions.
Les pistes évoquées à ce stade de la mission conduisent à rechercher une combinaison d'actions pragmatiques adaptées à chacune des problématiques identifiées.
Concernant la lutte contre la piraterie, il convient d'étudier les différentes solutions possibles en ayant à l'esprit au moins deux idées: d'une part, que la défense de l'artiste et de la création est au coeur de l'identité et de la culture française et qu'aucun pays ne peut accepter “les petits délits de contrefaçon ordinaire” sauf à accepter la mise en péril de ses industries ; d'autre part, que derrière le cas particulier de la propriété littéraire et artistique se cache la question plus générale de la régulation du monde numérique et que les solutions qui seront retenues ici pourraient faire, le cas échéant école, pour d'autres thématiques.
La mission recherchera donc des voies de sanction raisonnables, privilégiant la pédagogie et associant les trois acteurs concernés : intermédiaires techniques, ayants droit et consommateur.
Qu'elle soit la résultante d'un accord interprofessionnel ou d'un choix législatif, la solution proposée devra répondre par avance à une série de contraintes, être la traduction d'un équilibre. Cet équilibre résultera de la conjonction d'un respect indispensable de la vie privée des internautes et de leurs droits à faire valoir leurs arguments avant toute sanction, mais aussi de la nécessité pour les fournisseurs d'accès à internet de ne pas devenir les “surveillants” du réseau ou les juges de leurs clients. Enfin, la définition d'un outil nouveau impose que les ayants droit poursuivent l'effort de pédagogie qu'ils ont entrepris et offrent la possibilité de faire de ce mécanisme alternatif nouveau une porte de sortie pour tous ceux qui auraient le souhait de modifier des comportements qu'ils savent interdits. À n'en pas douter, l'équation est complexe et subtile, et conduit chaque acteur à préciser son rôle dans la régulation de l'internet ; mais la gageure ne doit pas être écartée d'emblée pour cette seule raison.
Concernant l'amélioration de l'offre légale, depuis la signature de la charte dite “musique” du 28 juillet 2004, de grands progrès sont intervenus mais il subsiste encore pour le consommateur des freins à l'acte d'achat sur internet. La lisibilité des offres gagnerait ainsi à être développée pour que chacun puisse connaître instantanément les conditions d'accès aux contenus qui lui sont proposés. La question du prix des offres de téléchargement sur plateforme fait également figure de point de blocage pour bon nombre de personnes qui estiment le coût d'acquisition au titre trop élevé, au regard des avantages indéniables d'une consommation gratuite. Cette question ne doit pas être déconnectée de celle de l'interopérabilité.
On sait qu'elle est l'une des plus grandes préoccupations des consommateurs, qui souhaitent pouvoir bénéficier pleinement des possibilités offertes par le numérique sans que d'excessives contraintes soient imposées par la variété des offres matérielles d'accès aux contenus et par la protection des droits des titulaires.
Ce sont ces différentes inconnues qui composent l'une des équations à laquelle doit répondre la mission.
Enfin, la mission devra faire oeuvre créatrice pour favoriser l'émergence de nouveaux modèles économiques diversifiant les modes d'accès à la culture pour éviter encore la rigidité d'un choix entre le tout payant et le tout gratuit. Ces modèles sont pour certains en train de voir le jour sur le territoire national, d'autres sont l'objet d'expériences à l'étranger. Tous doivent être scrutés, pesés et envisagés pour offrir à chacun (consommateurs, diffuseurs, intermédiaires techniques, titulaires de droits) les moyens de recréer les liens d'un contrat de société pacifié autour d'un souhait commun: rendre la culture accessiblep pour le plus grand profit de tous absolument.
À bien des égards, les questions qui sont soumises à la réflexion des membres de la mission traduisent la nécessité de répondre par la modernité de la méthode à des questions si complexes qu'elles ne trouvent pas leurs réponses dans les outils classiques. Depuis six ans, le Forum des droits sur l'internet a été le porteur dans le secteur de l'internet de ces nouvelles formes de prise de décisions à travers son expérience de la concertation.
C'est cette idée et cette méthode qui offriront les meilleures chances de succès.
1er octobre 2007 - Légipresse N°245
1683 mots
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