Enews Legipresse

Recevez la newsletter et entrez dans le Club Légipresse
Valider
Valider l'adresse e-mail pour inscription à l'E-news

Le club Légipresse

Les 2 derniers inscrits
Marie Albrich-Sales

Doctorante contractuelle
Atalante Gabelli

Sans emploi

Vidéos

02/09/2016
Fabrice Arfi, Médiapart

Forum 2015 - Informer n'est pas un délit

Toutes les vidéos
Accueil > Peer-to-peer : de la mission Olivennes aux accords de l'Élysée, une étape clef -

Tribune


01/03/2008


Peer-to-peer : de la mission Olivennes aux accords de l'Élysée, une étape clef



 

Le discours du président de la République le 23 novembre 2007 à l'Élysée pour saluer la signature d'un accord interprofessionnel, issu des travaux de la mission de Denis Olivennes (1), marque le chemin parcouru depuis cinq ans pour prendre conscience des problèmes posés par le net à la création et la diffusion des oeuvres culturelles.
L'aboutissement d'une longue crise Septembre 2002 : vantant le haut-débit aux Français, les fournisseurs d'accès (FAI), Wanadoo en tête, font la promotion éhontée, par la même occasion, des joies de l'échange de fichiers de musique aussi illégaux que gratuits. Cet effet d'aubaine considérable ne tarde pas avoir pour conséquence une baisse constante des ventes de supports phonographiques et un décollage des offres numériques plus que poussif, incapable par ses revenus de compenser la perte en cinq ans de plus de 600 millions d'euros de chiffres d'affaires (soit 50 %).
Juillet 2004: sous l'égide déjà de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, et de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, FAI et ayants droit de la musique signent une charte, annonciatrice de la mission Olivennes. Les catalogues musicaux sont passés en trois ans de 300000 titres à plus d'un million, et plusieurs campagnes de sensibilisation de la profession envers les internautes sur les méfaits du piratage ont été menées. Mais les FAI, s'ils ont su donner, non sans habileté, l'impression de respecter le texte de la charte, n'ont jamais respecté son esprit, à savoir mener une vaste campagne visible et efficace envers leurs clients pour les dissuader d'utiliser des logiciels d'échanges illégaux et promouvoir l'usage des offres légales. Résultat : cette charte, si elle a marqué un certain apaisement, n'a pas tenu toutes ses promesses.
Parallèlement, les débats ont pris une tournure de plus en plus vive, sortant du champ des experts de l'internet et de la propriété littéraire et artistique pour devenir, au pire une discussion de café du commerce avec ses approximations et ses confusions, au mieux une querelle caricaturale des anciens et des modernes. Ces débats ont connu une virulence stupéfiante et leur paroxysme lors de l'adoption mouvementée de la loi DADVSI (2). L'adoption puis le rejet de la « licence globale » suivie de l'introduction avortée d'une riposte graduée ont laissé des traces. Mais ils ont, d'une certaine manière, purgé aussi les positions antagonistes des uns et des autres.
En 2007, le constat s'est donc imposé qu'il fallait se donner enfin des moyens crédibles pour permettre le succès des offres légales. En effet, lutter contre les échanges illicites, ce n'est pas lutter contre le progrès technique et faire de la répression pour de la répression, mais se donner les moyens de créer un internet culturel à forte valeur ajoutée susceptible de financer la création. Que le trafic haut débit serve très majoritairement à faire circuler des oeuvres non valorisées est un non-sens économique, indépendamment du manque de considération que cela révèle pour le travail artistique et de promotion.
Le nouveau gouvernement a décidé d'agir dès son installation, contraint par les prises de position de Nicolas Sarkozy.
À l'évidence, sans son implication ancienne et personnelle, rien ne dit que le dossier de la lutte contre le peerto- peer illégal aurait été aussi rapidement réexaminé.
Ainsi est née la Mission confiée au Président de la Fnac Denis Olivennes.
P o u rquoi l'accord dit de l'Élysée du 23 n o v e m b re 2007 est-il très positif? - Sans l'alliance initiale, avant le démarrage des travaux de la mission, entre les professionnels de la musique et ceux du cinéma, rien n'aurait pu se faire.
Or deux conceptions s'opposaient depuis le débat sur la loi DADVSI. Le cinéma privilégie une approche dite « graduée », faite d'avertissements adressés aux internautes et de mesures de suspension voire de résiliation de l'abonnement à l'internet. La musique, elle, craignant qu'une telle solution soit à la fois trop complexe à mettre en oeuvre et délicate au regard de l'exercice d'une liberté publique (l'accès à un média) privilégiait l'envoi d'un seul avertissement et d'une amende du type de celles en vigueur pour les infractions mineures au Code de la route. Ce système avait a priori l'avantage d'éviter toute analyse d'une récidive avant d'agir, et la conservation de données.
Les deux secteurs ont surmonté ces divergences. Convaincus d'être unis sur l'objectif de protection des contenus qui devait l'emporter sur toute autre considération, ils ont demandé à D. Olivennes d'examiner les deux systèmes en acceptant par avance de se rallier à celui retenu par la Mission. En l'occurrence, celle-ci s'est inspirée dans sa proposition de celle du cinéma, rejetant l'idée d'une amende, s'appuyant sur quelques rares exemples d'accords partiels entre FAI et ayants droit (aux États-Unis et en Grande Bretagne), et considérant qu'un volet préventif puissant serait la clef du succès pour faire admettre des sanctions…

- Le dispositif est celui d'une suspension de l'abonnement, voire sa résiliation après que l'abonné a été averti du risque encouru. Nous ne sommes pas dans un aménagement du délit de contrefaçon, à la différence de la riposte graduée votée en 2006 puis censurée par le Conseil constitutionnel (3). Fondée sur la théorie de la responsabilité du fait d'autrui (l'abonné n'est pas nécessairement celui qui utilise le logiciel peer- t o - p e e r) et du délit d'imprudence (4), la sanction concerne le seul abonné et se rattache à l'article 25 de la loi DADVSI selon lequel tout abonné à l'internet a un devoir général de surveillance pour que l'accès au réseau ne serve pas à violer les droits de propriété littéraire et artistique.
- Ce dispositif a aussi l'avantage d'être mis en oeuvre par une autorité administrative indépendante (5), ce qui permet de mieux garantir le respect, sous le contrôle du juge judiciaire, des libertés individuelles, en particulier la question de la conservation de données à caractère personnel.
- Enfin, les accords de l'Élysée ont l'avantage de reposer sur des engagements des acteurs privés beaucoup plus forts que ceux de la charte de 2004.
La suppression des mesures anticopies (à défaut d'avoir une interopérabilité des appareils de lecture) sur les fichiers musicaux comme le raccourcissement des délais pour la VOD en matière de films constituent de fortes avancées, réclamées depuis longtemps par les associations de consommateurs.
Parmi les autres motifs de satisfaction pour les ayants droit, il convient de souligner l'engagement des prestataires techniques de coopérer avec les titulaires de droits dans les vingt-quatre mois de la signature des accords pour expérimenter des mesures de filtrage et généraliser à court terme les technologies performantes d'empreintes des oeuvres, afin de pouvoir distinguer les oeuvres protégées de celles qui ne le sont pas. C'est une clause fondamentale tant il est vrai et juste de considérer que le filtrage, s'il est possible et efficace, réduira d'autant la pression sur l'abonné. Ne plus pouvoir accéder à une offre illicite est évidemment le meilleur moyen d'éviter toute forme de sanction.
Que faut-il désormais attendre de ces accords? Premier de cette ampleur dans le monde (6), ce texte est à la fois l'aboutissement spectaculaire de négociations complexes entre des intérêts contradictoires et un début très prometteur, celui de la transformation effective en contraintes légales et réglementaires d'un dispositif novateur en fait et en droit. Et, in fine, un espoir crédible de voir une inversion de tendance favorable à la diffusion légale des oeuvres.
En fait, la France est bel et bien le premier pays au monde à proposer sous l'égide de l'exécutif un dispositif qui, mêlant prévention et répression, est contraignant, tranchant en cela avec les projets ou les accords conclus aux États-Unis ou en Grande-Bretagne entre opérateurs et ayants droit. Ceci démontre, n'en déplaise aux prestataires techniques, que le vent tourne: après la première phase de développement du net favorisant l'accès de tous au haut-débit au détriment des contenus protégés (7), ceux-ci ont abordé la seconde phase de leur déploiement, celui de la pérennisation de leur activité.
Or, sur ce point, les pouvoirs publics ont admis, même si c'est bien trop tardivement, que les ayants droit ont bel et bien été des victimes collatérales de cet engouement pour des connexions haut débit le moins cher possible proposées aux Français. Les pouvoirs publics leur demandent maintenant de participer à la régulation des réseaux et d'arrêter de s'exonérer de toute espèce de responsabilité. En quelque sorte, ils « paient » pour le passé.
Ils l'ont compris, à défaut de l'admettre tout à fait, et semblent donc désormais prêts à jouer le jeu d'une action de prévention contre le peer- to- peer, et au-delà contre les usages illégaux des oeuvres protégées. Tant mieux, il n'était que temps.
En droit, l'enjeu est de parvenir à faire adopter au Parlement un projet de loi qui soit conforme à la Constitution. La présente tribune n'a pas pour objet d'analyser en détail les questions juridiques que soulève le texte de l'accord. Je me contenterai donc d'énumérer les points que le gouvernement et le législateur ont à examiner.
- L'imputabilité: ce n'est pas la première fois que se posent la responsabilité et donc le fait de sanctionner quelqu'un pour le fait d'autrui ni pour délit d'imprudence. Il ne devrait donc a priori pas y avoir de difficulté particulière sur ce point.
- Le fait de confier à une autorité administrative un pouvoir de sanction privative de l'exercice d'une liberté p u b l ique: le juge judiciaire est habituellement le juge des libertés ; mais dans certains cas (liberté de la communication audiovisuelle) une autorité administrative peut être chargée de prendre des sanctions. La question posée est donc plutôt celle de la proportionnalité de la sanction au regard du comportement que la loi veut réprimander et des voies de recours.
- La question du contradictoire et des droits de l'abonné à contester la mesure . Pour que le dispositif soit crédible et efficace, donc massif, les droits légitimes de l'abonné à contester la mesure de suspension de sa connexion ne doivent pas paralyser le dispositif. Il s'agit donc de définir des voies de recours qui ne privent ni l'internaute de ses droits ni la future Haute Autorité des moyens d'agir. Faute de quoi le système sera mort-né.
* * * Gageons que les semaines à venir seront passionnantes pour les juristes et tous ceux qu'intéresse la recherche d'un juste équilibre entre usages et succès de l'internet haut débit et financement de la création culturelle. Encore faut-il que la raison l'emporte sur la passion.
1er mars 2008 - Légipresse N°249
2010 mots
> Commenter
Ajouter un commentaire
Titre du commentaire :
Message :
Envoyer