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Tribune


01/09/2008


Contentieux de presse: les errements de la commission Guinchard



 

Le 30 juin 2008, la commission présidée par le recteur Serge Guinchard remettait son rapport au Garde des sceaux en formulant 65 propositions. L'une d'elles intéresse le droit de la presse. Elle vise à créer un pôle civil « diffamation et injure » dans chaque TGI. À ce titre, la commission préconise « la dépénalisation de la diffamation à l'exception des diffamations présentant un caractère discriminant (raciste, sexiste…) » et la « suppression de la compétence résiduelle du tribunal d'instance en la matière, par transfert au TGI (diffamation et injure non publique) ». Cette préconisation, au détour d'un rapport général comporte, sur le terrain du droit de la presse, des implications nombreuses dont les effets sont préoccupants.
Au-delà des explications données dans le rapport (1), le président de la commission lui-même synthétise les raisons de cette proposition par la volonté de « donner un signal fort de la France au Conseil de l'Europe qui, régulièrement, nous épingle sur ce sujet dans ses rapports et autres recommandations.
Surtout, le temps est venu de conforter la liberté de la presse et de protéger néanmoins les personnes victimes de diffamations ou d'injures autrement que par le recours au droit répressif, dont les pièges procéduraux ont été mis en place précisément pour éviter que l'on aboutisse trop aisément à la condamnation des journalistes. Nous avons beaucoup pesé le pour et le contre. Au final, nous avons tranché pour le maintien de la loi de 1881, symbole de la liberté de la presse, et le transfert dans le Code pénal des délits de diffamation aggravés (à caractère raciste, sexiste, etc.) ; à l'exception de cellesci, seule la voie civile sera désormais possible (référé, demande au fond de dommages et intérêts et autres mesures civiles) » (2). Mais si les objectifs visés sont a priori respectables, la commission Guinchard se trompe dans le diagnostic et l'analyse du droit positif (I) et n'a pas mesuré les conséquences réelles d'une telle proposition qui sonne en réalité le glas de la loi du 29 juillet 1881 (II).
I. Les erreurs de diagnostic de la commission Guinchard En premier lieu, s'agissant du Conseil de l'Europe, le rapport lui-même fait référence à la résolution 1577 du 4 octobre 2007 qui vise l'éradication d'une protection renforcée des personnalités publiques. Il s'agit d'un sujet différent et cette référence n'apparaît guère pertinente. Un diagnostic sérieux ne peut passer que par une évaluation du droit français au regard des décisions de la Cour EDH, dont il n'est pas question dans le rapport.
Cette lacune est étonnante. Or, si on analyse ces décisions, il est parfaitement faux de prétendre que la France aurait été épinglée car la diffamation et l'injure y sont soumises à des peines d'amende. Pour l'essentiel, il s'agissait de condamnations prononcées pour des raisons de fond et quand la Cour condamne la France pour des sanctions excessives, elle vise à cet égard le simple fait d'avoir prononcé un euro de dommages et intérêts (3). Bien plus, la Cour de Strasbourg a rappelé précisément, à plusieurs reprises, que l'existence d'une sanction pénale ne constitue pas en soit une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression (4)… Tout juste la Cour de Strasbourg a-t-elle formulé un simple voeu général, concernant l'instauration de procédures purement civiles dans le domaine de la diffamation (5). Ainsi, le premier motif relevé à l'appui de cette proposition résulte d'une dénaturation ou d'une méconnaissance du droit pertinent.
Les autres raisons invoquées sont à l'avenant. Le déplacement du contentieux de presse vers la juridiction civile serait de nature à conforter la liberté de la presse? Les spécialistes de droit de la presse auditionnés ont à juste titre fait part de leurs réticences sur ce point (6). Il n'est qu'à voir le déséquilibre du contentieux dans le domaine de l'article 9 du Code civil, lequel tourne dans 95 % des cas au bénéfice du demandeur. C'est pourtant à n'en pas douter ce modèle processuel là que l'on veut instituer.
Mais au-delà du raisonnement analogique, par nature contestable, la pratique du procès civil sur le terrain de la loi du 29 juillet 1881 nous démontre qu'il est moins protecteur de la liberté de la presse que ne l'est le procès pénal. On passera sur les procédures expéditives, invoquant une urgence qui dans beaucoup de cas n'existe pas, et les mesures qui sont susceptibles d'être ordonnées en référé. Elles dépassent notre propos. Mais sur le fond, si le juge civil ne dispose pas de la possibilité de prononcer des amendes, il dispose par contre d'une palette de mesures bien plus attentatoires à la liberté de l'information que le juge pénal, et notamment la possibilité d'ordonner la publication de communiqués judiciaires avec exécution provisoire, dont le caractère irréversible viole gravement le droit au recours effectif protégé par l'article 13 de la Convention EDH, outre des possibilités accrues d'auditions de témoins.
Reste l'autre objectif : protéger les victimes dont les droits seraient bafoués devant le juge répressif car les pièges procéduraux y seraient trop nombreux. C'est un serpent de mer, qui ressurgit régulièrement, aiguillonné par une doctrine qui souhaite faciliter la sanction des organes de presse. Ainsi, le pro-

fesseur Emmanuel Derieux affirme à cet égard : « les particularités de procédure pénale de la loi de 1881 sont bien connues des spécialistes de ce droit… Mais souvent d'eux seuls. (…) Elles ne garantissent pas l'égalité des armes et l'équilibre des droits. Par leurs spécificités, elles assurent l'impunité des représentants des médias poursuivis » (7). Plus récemment encore, le ton est monté d'un cran. Le professeur Dreyer stigmatise désormais les praticiens eux-mêmes, juges et avocats. Qu'écritil? « Au-delà du traitement de faveur reconnu aux médias, il faut ajouter l'habileté de certains praticiens qui profitent de ce droit pour faire étalage de leur dextérité. La justice trouve difficilement sa place en ce domaine où le juge, comme l'avocat, ne résistent pas au plaisir de se montrer virtuoses. Au-delà des prévisions de la loi, ils alimentent un droit excessivement formaliste: le bon sens est étranger à cette matière de spécialistes, d'initiés. (…) Le système tourne à vide, au seul avantage de ceux qui sont chargés de l'appliquer » (8).
Mais au fait, de quoi parle-t-on? D'une vingtaine d'articles tout au plus figurant dans la loi sur la presse. Au lieu de ferrailler contre les plaideurs qui connaissent ces règles, ne serait-il pas plus avisé de s'élever contre ceux qui s'engagent à la légère dans une matière nouvelle. Le corpus processuel pénal de la loi sur la presse tient quasiment en un fascicule du Jurisclasseur (9). Est-ce trop demander que d'exiger d'un professionnel qu'il lise une documentation de base accessible à tous? Il existe des dizaines de matières infiniment plus complexes.
Et puis, la commission a semble-t-il perdu de vue le fait que les pièges procéduraux dont elle entendait extraire les « victimes » des organes de presse, sont désormais déclarés applicables devant le juge civil par la Cour de cassation depuis 1994.
La prévisibilité des « pièges » procéduraux est d'ailleurs plus grande devant le juge pénal, avec le recul de cent années de jurisprudence, que devant le juge civil. De même, sur le terrain de la prescription, c'est le juge pénal qui s'occupe d'en assurer l'interruption régulière, alors que le demandeur est livré à lui-même devant la juridiction civile.
Alors en définitive, si, selon son président, la commission a « beaucoup pesé le pour et le contre », elle aurait été bien inspirée non seulement d'accorder plus de crédit aux spécialistes auditionnés, mais aussi d'élargir ses lectures. Ce pouvait être l'occasion de relire l'intervention du professeur Michel Veron à l'occasion du colloque organisé à la faculté d'Aix-en-Provence les 17 et 18 mars 1994 (10). Le débat y est cette fois-ci posé en termes objectifs. Que disait-il ? Il mettait en évidence « le rôle et l'importance des règles de procédure dans la garantie des libertés fondamentales et l'exercice des droits de la défense.
Valable en tous les domaines, cette observation vaut encore plus lorsqu'il s'agit d'apprécier l'ensemble du dispositif d'une loi sur la “liberté de la presse”. (…) À qui profite l'ensemble de ce dispositif procédural? (…) Contrairement à bien des idées reçues, les plateaux de la balance ne sont pas inégalement chargés et les règles de procédure n'avantagent pas systématiquement le prévenu ». En définitive, pour le professeur Veron, « on peut considérer que l'ensemble constitué par les dispositions législatives en leur interprétation jurisprudentielle assurent un équilibre assez harmonieux entre la nécessité de garantir la liberté de la presse et l'obligation d'en réprimer les abus » (11).
Rien, depuis 1994, ne vient remettre en cause cette appréciation.
II. Une proposition aux conséquences désastreuses La dépénalisation restaurerait les droits de la victime ? C'est en réalité la création d'un vaste espace de non-droit. Car, la voie pénale est absolument nécessairement à la protection des droits de la victime dans un nombre croissant de cas. En effet, pour engager une procédure civile, encore faut-il avoir identifié un responsable, ce qui est particulièrement complexe, notamment sur internet. Bien souvent, en ce domaine, il est nécessaire d'obtenir l'aide d'un juge d'instruction. Devant le juge civil, les moyens du demandeur sont particulièrement limités, la voie des ordonnances sur requête fondées sur la loi LCEN et l'article 145 NCPC étant bien souvent insuffisante. De plus, la technicité est indispensable car le juge d'instruction n'est pas là pour aider le plaideur perdu dans les arcanes des communications électroniques. À cet égard, la proposition Guinchard est à revers de son objectif. Elle va fragiliser les droits des victimes et remet en cause le droit d'accès à un tribunal reconnu par l'article 6-1 de la Convention EDH.
Qu'en est-il pour ceux d'en face ? Tous ceux qui se cachent sous des faux nez, notamment sur le web, seront maintenant assurés d'une impunité totale. Le juge pénal ne pouvant plus aller mettre le nez dans leurs affaires, le plaideur civil isolé sera réellement démuni. Restent les grands médias, les organes de presse, ceux qui ne se cachent pas. Pour ceux-là, il ne faut pas être grand clerc pour prédire l'avenir. Il n'y aura plus que des procédures civiles. Déjà, la prescription y a été quasiment neutralisée, sans compter avec les aléas de l'application de la loi sur la prescription en date du 17 juin 2008, qui pourrait nous réserver quelques débats. Alors, il restera encore quelques règles, notamment l'article 53 de la loi sur la presse qui contraint, par exemple, à viser le texte de loi mentionnant la peine. Mais précisément, il n'y aura plus de peine… L'article 53 sera déjà à moitié vidé de sa substance. On reviendra à terme à un procès civil dont l'économie sera celle que l'on a connue avant 1994.
Le modèle qui résulterait de la mise en application de la proposition de la commission Guinchard, qui préconise d'ailleurs expressément un « aménagement » des règles de procédure (12) aboutira à moyen terme à une dilution du droit de la presse dans un droit de la responsabilité civile applicable en matière de presse.
La commission Guinchard reconnaît que ses propositions supposeront « peut-être » la constitution d'un groupe de travail « ad hoc ». Avec de telles propositions qui visent à déséquilibrer durablement le droit de la presse, il faut bien évidemment un débat public et transparent, précédé d'une évaluation sérieuse et objective du droit existant, et d'une analyse précise des conséquences d'une modification. Délibérément, cette tribune est vive, c'est la loi du genre. Personne ne doit avancer masqué.
Il faut ouvrir un vrai débat, c'est l'unique objectif poursuivi.
La solution naîtra de la contradiction.
1er septembre 2008 - Légipresse N°254
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