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Tribune


01/01/2012


Mein Kampf, sous le coup de la loi ?



 

Quatre ans, c'est vite passé ! L'initiative pour la prévention de la haine a tenu colloque le 11 octobre dernier à la Maison du Barreau de Paris, sous l'impulsion de Philippe Coen, son principal animateur, sur le thème : « Quelle prévention pour demain lorsque le texte de Mein Kampf tombera dans le domaine public ? » (1). Ces droits sont encore aujourd'hui détenus par le Land de Bavière, qui en interdit toute réédition en Allemagne depuis 1945.
Le colloque fut très riche. Mais le quasi-unanimisme à considérer que cette réédition serait un mal nécessaire, laisse perplexe le patricien du droit de la presse. La réflexion ainsi engagée devra surtout être celle de l'éditeur tenté par la réédition de ce “best-seller” (2), symbole de l'antisémitisme.
Cet éditeur ne sera pas censé ignorer des rigueurs de la loi française, depuis 1972, en l'occurrence posées à l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, qui réprime les provocations à la haine, à la violence ou à la discrimination « à l'égard d'un groupe de personnes à raison de son origine ou de son appartenance à une race ou une religion déterminée… ». En matière de provocation, la jurisprudence est constante : le mobile importe peu. L'intention délictuelle se juge uniquement à l'aune de la teneur du message et de l'effet sur celui qui le reçoit (3). Même l'éditeur, au-dessus de tout soupçon, n'échappera pas à la loi qui fait de lui l'auteur principal des infractions (a fortiori lorsque l'auteur intellectuel n'est plus là pour en répondre !) et qui autorise les associations dûment habilitées, comme le procureur de la République, à engager les poursuites devant le juge pénal.
Bien sûr l'histoire a aussi ses droits. Bien sûr interdire un livre est ce qui se conçoit de plus grave contre l'esprit, la culture et la mémoire.
Le nazisme avait d'ailleurs commencé par là : brûler des livres. Mais de quoi parle-t-on ? Ce livre « est tellement violent, qu'on a cru que Hitler était fou et on ne l'a pas pris au sérieux. Il y a aussi une dimension psychologique.
Comment peut-on croire à quelque chose d'aussi effrayant ? » souligne Antoine Vitkine (4). On peut spéculer sur l'intelligence critique et le recul du lecteur, sur les mérites du débat au grand jour. Laisser tout s'écrire et se dire, comme le commande par exemple le premier amendement américain, est la meilleure solution… dans le meilleur des mondes. Mais ce n'est pas l'esprit de la loi de 1972 qui a entendu protéger les esprits vulnérables contre les discours de propagande de la haine. Or, l'ouvrage a déjà fait ses preuves. Il a préparé le terreau des abominations du régime nazi, et leur acceptation par la population.
Comment imaginer que ce texte pourrait ne pas, à nouveau, exercer une fascination et ressusciter la pensée nazie ? Laisser impunie la publication de la pensée de Hitler, parce que précisément il s'agit de Hilter, alors que ce serait impossible à qui que ce soit d'autre, serait paradoxal.
Ce serait admettre un privilège au criminel contre l'humanité, justement à cause de la trace sanglante qu'il a laissé dans l'histoire ! Saisie par la Licra en 1979, la cour d'appel de Paris a considéré que la réédition de la version intégrale de Mein Kampf en français, devait être précédée d'un avertissement aux lecteurs rappelant qu'elle fut la réalité des crimes nazis, tels que constatés par le Tribunal de Nuremberg (5). Obliger tout nouvel éditeur à insérer ce même avertissement serait-il suffisant ? Serait-il plus efficace que ces messages et images que la loi contraint à afficher sur les paquets de cigarettes pour dissuader les fumeurs de les acheter… ? Est-il indispensable pour l'histoire de permettre de republier, par exemple, le passage suivant : « on ne se représente pas les ravages que la contamination par le sang juif cause quotidiennement dans notre race, que l'on réfléchisse que cet empoisonnement du sang ne pourra être guéri que dans des siècles ou jamais… Cette contamination pestilentielle de notre sang que ne savent pas voir des centaines de milliers de nos concitoyens est pratiquée aujourd'hui systématiquement par les Juifs. Systématiquement ces parasites aux cheveux noirs qui vivent aux dépens de notre peuple souillent nos jeunes filles inexpérimentées et causent ainsi des ravages que rien en ce monde ne pourra plus compenser » ? (6) C'est en nourrissant d'idées haineuses les esprits faibles et malades qu'on en fait des criminels, à tout le moins des complices de criminels ! À trop vouloir prévenir on attise souvent la curiosité, et on se fait soi-même l'instrument de la propagande.
Certes on objectera que ce débat est sans doute dépassé, puisque “l'oeuvre” est déjà en vente libre, notamment sur internet, que le fait qu'elle tombe dans le domaine public ne changera donc pas grand-chose. Si les promoteurs de cette réflexion se posent ainsi la question, c'est sans doute, et ils ont raison, que cela risque, au contraire, de modifier l'intérêt pour le livre, de le remettre à la une, d'attiser l'appétit de certains éditeurs, comme il en est souvent lorsqu'une oeuvre majeure tombe dans le domaine public. On aurait alors de nouvelles publications, au sens des articles 23 et 65 de la loi de 1881, qui s'exposeraient aux poursuites sus-évoquées, ne serait-ce que du fait de la réouverture du délai de prescription.
Les éditeurs ont craint, jusqu'à aujourd'hui, les rigueurs de la loi sur la contrefaçon des oeuvres de l'esprit. Comment pourraient-ils ne pas redouter, après 2016, les rigueurs, non moins sévères, que la loi pose contre les discours racistes ?
1er janvier 2012 - Légipresse N°290
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