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12/06/2025
Suppression de contenus diffamatoires par l'hébergeur dans le cadre d'une procédure accélérée au fond : une première lumière au bout du tunnel ?
Aux termes de l'article 6-I-8 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), dans sa version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d'y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne.
Il s'en déduit que, pour faire usage, en l'absence de débat contradictoire avec les auteurs des propos litigieux, du pouvoir qui lui est conféré de retrait de contenu ou de blocage de site portant atteinte à la liberté d'expression, le juge doit constater le caractère manifestement illicite des propos critiqués constitutifs d'un abus de cette dernière. Ce caractère manifestement illicite n'est pas établi par la seule communication de propos portant atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne, la diffamation alléguée pouvant être écartée si la preuve de la vérité est rapportée ou si l'excuse de bonne foi est admise. En l'espèce, c'est dès lors à bon droit que la cour d'appel a retenu que la seule allégation du caractère diffamatoire des propos litigieux ne justifiait pas d'ordonner leur retrait.
Selon l'article 6-II de la LCEN, dans sa rédaction issue de la loi du 24 août 2021, les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public doivent détenir et conserver les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création d'un contenu des services dont elles sont prestataires pour les besoins des procédures pénales. Dans le cas d'une impossibilité d'identifier les personnes ayant contribué à leur création, en dépit des obligations prévues par ce texte, faisant obstacle à tout débat contradictoire, il incombe au juge d'apprécier si la suppression des contenus est proportionnée à l'atteinte subie par les personnes visées (1re esp.).
Selon les articles 6-I-7 et 8 de la LCEN, dans leur rédaction issue du 24 août 2021, transposant la directive 2000/31/CE dite « e-commerce », tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance des contenus qu'ils stockent. Toutefois, ces dispositions ne s'opposent pas à ce qu'une juridiction puisse enjoindre à un hébergeur de supprimer une publication dont le contenu est identique à celui d'une information déclarée illicite précédemment, ou de bloquer l'accès à celle-ci, dès lors que la surveillance et la recherche des informations concernées par une telle injonction sont limitées à des publications dont le contenu demeure inchangé par rapport à celui ayant donné lieu au constat d'illicéité et que l'hébergeur n'est pas tenu de procéder à une appréciation autonome de ce contenu. En l'espèce, il est reproché à la cour d'appel de ne pas avoir recherché si les demandes de retrait et de blocage n'étaient pas justifiées par les condamnations pour diffamation publique déjà prononcées à l'encontre du prévenu pour des propos identiques à ceux mis en ligne sur son profil Twitter (2e esp.).
Les deux arrêts rendus le 26 février 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation constituent, à n'en pas douter, une première avancée majeure sur la possibilité, pour les victimes de contenus diffamatoires, d'obtenir la suppression de ceux-ci auprès de leur hébergeur par la voie judiciaire de la procédure accélérée au fond, lorsque leur auteur n'a pas été mis en cause.
Cette procédure a été mise en place par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, modifiant ...
Cour de cassation, (1re ch. civ.), 26 février 2025
Nicolas VERLY
Avocat au Barreau de Paris
Chargé de cours à l'Ecole de droit de la Sorbonne ...
12 juin 2025 - Légipresse N°436
6109 mots
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(1) C. Bigot, La procédure accélérée au fond prévue par l'article 6-I-8 de la LCEN : un risque de déstabilisation profonde des fragiles équilibres du droit de la presse, Légipresse 2023. 601.
(2) B. Huet et E. Lee, L'immunité paradoxale offerte aux auteurs anonymes de contenus diffamatoires, Légipresse 2024. 425.
(3) TJ Paris, 20 avr. 2022, n° 22/51815.
(4) Allant jusqu'à communiquer les adresses IP de connexion pour des faits allégués de diffamation, pratique désormais refusée par les juges, v. N. Bénoit et N. Verly, La difficile identification des auteurs d'infractions en ligne : une double peine pour les victimes ?, Légipresse 2024. 668.
(5) Sur ce point, v. N. Bénoit et N. Verly, L'identification des auteurs de diffamations et injures à l'aune du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale : chronique d'une mort annoncée ?, Légipresse 2022. 538.
(6) Paris, pôle 2 - 7e ch., 31 mai 2023, n° 22/09327.
(7) Civ. 1re, 26 févr. 2025, n° 23-16.762, Légipresse 2025. 136 et les obs. ; ibid. 249, obs. N. Mallet-Poujol ; D. 2025. 396.
(8) TJ Paris, 20 sept. 2022, n° 22/53658.
(9) Paris, pôle 2 - 7e ch., 25 oct. 2023, n° 22/17171, Légipresse 2023. 654 et les obs. ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol.
(10) Civ. 1re, 26 févr. 2025, n° 23-22.386, Légipresse 2025. 135 et les obs. ; D. 2025. 444.
(11) E. Binoche, Obligations et responsabilité des intermédiaires techniques : l'articulation entre référé de droit commun et référé de la loi du 21 juin 2004 (art. 6-I-8 LCEN), Légicom 2006, n° 35, p. 79.
(12) TJ Paris, 8 juill. 2022, n° 22/53972, Légipresse 2022. 401 et les obs. ; ibid. 481, étude E. Dreyer ; ibid. 2023. 241, étude N. Mallet-Poujol.
(13) E. Dreyer, Errements dans la procédure accélérée au fond engagée contre un hébergeur, Légipresse 2022. 481.
(14) Cons. const. 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, AJDA 2004. 1534, note J. Arrighi de Casanova ; ibid. 1937 ; ibid. 1385, tribune P. Cassia ; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux ; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray, note D. Chamussy ; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; D. 2005. 199, note S. Mouton ; ibid. 2004. 1739, chron. B. Mathieu ; ibid. 3089, chron. D. Bailleul ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; ibid. 2005. 465, étude P. Cassia ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri ; RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar ; ibid. 2005. 597, étude E. Sales. La notion de contenu « manifestement illicite » figurait également dans l'art. 6-I-2 LCEN, l’ajout de l'adverbe « manifestement » ayant été ajouté par la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020.
(15) V. par ex., en matière d'atteinte à la vie privée, Versailles, 21 déc. 2023, n° 23/02637, Légipresse 2024. 12 et les obs. ; ibid. 257, obs. N. Mallet-Poujol ; de traitement de données personnelles, Paris, pôle 1er - 8e ch., 29 mars 2024, n° 23/15232, Légipresse 2024. 210 et les obs. ; ibid. 2025. 249, obs. N. Mallet-Poujol ; de délit de mise en danger numérique (C. pén., art. 223-1-1), préc.
(16) Par ex., Paris, pôle 2 - 7e ch., 28 févr. 2024, n° 22/17887, Légipresse 2025. 121, obs. N. Verly ; Paris, 25 oct. 2023, n° 22/2023, Légipresse 2024. 125, obs. N. Verly ; Paris, pôle 1er - 8e ch.,12 mai 2023, n° 22/11959, Légipresse 2023. 261 et les obs. ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol ; TJ Paris, 30 oct. 2024, n° 24/55336, Légipresse 2025. 121, obs. N. Verly ; ibid. 249, obs. N. Mallet-Poujol.
(17) B. Huet et E. Lee, L'immunité paradoxale offerte aux auteurs anonymes de contenus diffamatoires, préc.
(18) C. Arens, Le contrôle de proportionnalité, Justice Actualités, n° 24, décembre 2020, p. 138
(19) V. par ex., CEDH 5 janv. 2000, n° 33202/02, Belyer c/ Italie, § 107 ; CEDH, gr. ch., 16 juill. 2004, n° 60642/08, Alisic et a. c/ Bosnie et a., § 108.
(20) V. not., Civ. 1re, 8 févr. 2023, n° 22-10.542, Légipresse 2023. 78 et les obs. ; ibid. 290, étude R. Le Gunehec ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol ; D. 2023. 545, édito. N. Dissaux ; ibid. 1553, obs. Y. Strickler et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2024. 136, obs. E. Dreyer ; JA 2023, n° 678, p. 11, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2023. 677, obs. F. Masson.
(22) Cass., as. plén., 25 oct. 2019, n° 17-86.605, Légipresse 2019. 593 et les obs. ; ibid. 681, étude G. Lécuyer ; D. 2020. 195, et les obs., note M. Afroukh et J.-P. Marguénaud ; AJ pénal 2020. 32, obs. N. Verly ; AJCT 2020. 90, obs. S. Lavric ; RTD civ. 2019. 819, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 2020. 78, obs. A.-M. Leroyer ; également dans le même sens, v. not., Crim. 8 janv. 2025, n° 23-84.535, Légipresse 2025. 11 et les obs. ; ibid. 103, comm. E. Dreyer ; D. 2025. 57 ; AJ pénal 2025. 83, note T. Besse ; RSC 2025. 77, obs. Y. Mayaud.
(23) La Cour d'appel de Paris s'est d'ailleurs déjugée, quelques mois plus tard, face aux mêmes parties et à raison de faits similaires : « [La] cour estime que, malgré l'absence de contradiction, eu égard à la gravité des imputations en l'espèce, les mesures de retrait sollicitées par les appelants sont parfaitement justifiées et surtout proportionnées au regard de l'atteinte portée à la liberté d'expression. En effet, les appelants, qui subissent directement un préjudice entrant dans le champ d'application de l'article [6-I-8] sont parfaitement fondés à obtenir le retrait des textes litigieux pour faire cesser le dommage occasionné » (Paris, pôle 2 - 7e ch., 28 févr. 2024, n° 22/17887, préc.).
(24) Avis consultable sur le site de la Cour de cassation.
(25) CJUE 3 oct. 2019, aff. C-18/18, Glawischnig-Piesczek, Légipresse 2019. 516 et les obs. ; ibid. 2020. 29, étude V. Varet ; ibid. 322, étude N. Mallet-Poujol ; D. 2019. 1884 ; ibid. 2266, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2020. 1262, obs. W. Maxwell et C. Zolynski ; ibid. 1970, obs. L. d'Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; Dalloz IP/IT 2020. 198, obs. O. de Maison Rouge ; RTD eur. 2020. 322, obs. F. Benoît-Rohmer.
(26) N. Bénoit et N. Verly, L'identification des auteurs de diffamations et injures à l'aune du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale, préc.
(27) N. Bénoit et N. Verly, La difficile identification des auteurs d'infractions en ligne, préc.
(29) B. Ader, Enfin un droit à suppression de propos anonymes sur internet ?, Gaz. Pal. 15 avr. 2025, p. 17.
(30) Avis consultable sur le site de la Cour de cassation.
(31) Avis consultable sur le site de la Cour de cassation.
(32) G. Loiseau, Responsabilité de l'hébergeur – Injonction de retrait d'un contenu en ligne : l'illicéité doit être certaine, CCE 2025. Comm. 31.
(33) CEDH 15 mai 2023, n° 45581/15, Sanchez c/ France, § 162, Légipresse 2023. 326 et les obs. ; ibid. 406, comm. B. Nicaud ; ibid. 502, chron. C. Bigot ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol ; AJ pénal 2023. 343, obs. J.-B. Thierry.
(34) V. par ex., dans l'actualité récente, une nouvelle proposition de dépénalisation des délits de diffamation et d'injure envers particulier, formulée dans le rapp. Mission d'urgence relative à la déjudiciarisation commandé par le garde des Sceaux et rendu en mars 2025 (p. 23, 2.4).