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Accueil > Pour une transposition de la directive 2001/29/CE respectueuse de la conception française du droit d'auteur (1) -

Tribune


01/10/2004


Pour une transposition de la directive 2001/29/CE respectueuse de la conception française du droit d'auteur (1)



 

DEPUIS PRÈS D'UN AN, le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (2), destiné à transposer en droit français la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 (3) relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, est en attente d'examen par les députés. Rappelons que la directive avait pour objectifs initiaux d'adapter le droit d'auteur des États membres au contexte des nouvelles technologies de communication numérique et d'harmoniser ces droits, en particulier concernant les exceptions. On pouvait donc s'attendre à une limitation de leur nombre. Or, de nombreux États avaient marqué leur volonté de pouvoir conserver ou modifier le moins possible les exceptions existant dans leur droit national afin de ne pas remettre en cause les équilibres en place, lesquels résultent de traditions et de cultures juridiques souvent spécifiques.
Force est de constater que la directive n'a pas atteint son but concernant les exceptions puisqu'elle n'a pu être adoptée qu'à l'issue d'un compromis sur ce point. Ainsi, outre l'exception obligatoire concernant les reproductions transitoires ou accessoires prévue par l'article 5.1, les articles 5.2 et 5.3 prévoient une vingtaine d'exceptions facultatives au droit de reproduction et/ou au droit de communication au public. Cette liste a une valeur exhaustive (4), justifiée par la volonté de tenir compte de « la diversité des traditions juridiques des États » (5).
La France n'a pas échappé à la controverse. Tant la directive que le projet de loi ont suscité nombre de prises de position de la part des titulaires de droits et des utilisateurs ou de leurs représentants. Il a notamment été beaucoup question de l'éventualité de l'introduction d'une exception sans compensation concernant les usages d'œuvres à finalité pédagogique ou de recherche dans le droit français. Les échanges ont parfois été vifs (6). Le projet de loi présenté à l'Assemblée nationale reste fidèle à la conception française du droit d'auteur. S'il comporte quelques nouvelles exceptions, il ne prévoit toutefois pas l'introduction d'une exception pour les usages pédagogiques, mais le risque d'amendements en cours de discussion existe toujours.
La France est en retard pour transposer la directive qui aurait dû l'être le 22 décembre 2002. On ne peut que le regretter, notamment parce qu'il y a là une source d'insécurité juridique. On pourra se consoler en constatant que seuls le Danemark et la Grèce avaient rempli leur obligation de transposition à la date butoir. Toutefois, l'année 2003 a permis cette transposition dans un certain nombre d'autres pays.
« La liste [des exceptions] tient dûment compte de la diversité des traditions juridiques des États membres […] » précise le considérant 32 de la directive. Les transpositions déjà intervenues présentent de remarquables exemples de la diversité des cultures juridiques et de leur inévitable prise en considération. Ainsi, en réponse à ceux qui souhaiteraient bouleverser le droit français de la propriété littéraire et artistique, nous pouvons rappeler, exemples à l'appui, à quel point Montesquieu ne se trompait pas lorsqu'il écrivait voici presque trois siècles: « S'il est vrai que le caractère de l'esprit et les passions du cœur soient extrêmement différentes dans les divers climats, les lois doivent être relatives et à la différence de ces passions et à la différence de ces caractères. » (7) Les transpositions allemandes et britanniques nous semblent particulièrement illustratives car certaines “exceptions” des droits de ces deux pays – tels le fair dealing (usage équitable) britannique (qui n'est pas une exception, cf. infra) et l'exception allemande en matière de reprographie (qui prévoit néanmoins une rémunération) – ont été invoquées en France par les utilisateurs. Or, les droits de la propriété littéraire et artistique de ces deux États reposent sur des conceptions et des systèmes juridiques très distincts. D'un côté le droit britannique, fondateur du système du copyright, de l'autre le droit allemand qui se classe dans les systèmes de droit d'auteur dit “continental”. Le droit français que l'on considère comme fondateur de ce droit d'auteur repose toutefois sur une conception distincte de celle du droit allemand.
Le droit d'auteur continental s'analyse comme un droit naturel qui est attaché à la personne physique qu'est l'au-

teur. Dans cette conception, la protection juridique de la propriété littéraire et artistique est conçue comme un prolongement de la personnalité de l'auteur. Dans un régime de droit d'auteur, la loi définit et décrit de façon détaillée les différents aspects et attributs de la protection accordée à l'auteur. En conséquence, les exceptions au droit exclusif de l'auteur sont prévues par la loi de façon précise.
La protection accordée par le copyright traduit une vision avant tout économique. Elle s'attache plus à l'exploitation de l'œuvre qu'à la personne de son auteur. Celui qui est important n'est pas l'auteur, mais celui qui publie, c'est-à-dire celui qui investit pour la diffusion de l'œuvre. Cette protection s'apparente à un privilège accordé par l'État pour faciliter l'exploitation des œuvres. On constate alors que le texte même de la loi est moins détaillé et qu'il fait souvent appel à des notions qui doivent s'interpréter au cas par cas, tels le fair use américain et le fair dealing britannique.
Le droit allemand traduit une culture juridique spécifique qui se distingue très sensiblement du droit d'auteur français. En effet, le droit allemand accorde une grande place à la facilitation de l'usage des œuvres et de l'exercice des droits. Cette caractéristique se concrétise par le nombre important d'exceptions au droit exclusif d'exploitation et par le recours fréquent au mécanisme de licence légale assorti d'un droit à rémunération, alors nécessairement exercé en gestion collective. Pour sa part, notre droit d'auteur accorde une place majeure à l'auteur et désigne le contrat comme instrument privilégié de l'exploitation des œuvres. Les exceptions y sont rares et très encadrées. Grâce au contrat, titulaires de droits et utilisateurs conviennent de conditions d'exploitation et de rémunération qui garantissent un équilibre entre droits des uns et besoins des autres. Ainsi, la reprographie d'œuvres protégées dans le secteur de l'éducation fait l'objet de contrats qui assurent une juste rémunération aux auteurs et aux éditeurs, tout en prenant en compte les spécificités des usages et des besoins qui varient entre l'école primaire et l'université.
La prégnance des cultures juridiques contrastées s'est exprimée à l'occasion de la transposition par l'Allemagne et la Grande-Bretagne de la directive du 22 mai 2001. Ainsi, en matière d'exceptions, la législation allemande comptait déjà la quasi-totalité de celles prévues par la directive. En fait, seule l'exception obligatoire de l'article 5.1 n'existait pas.
La loi allemande du 12 septembre 2003 sur la réglementation du droit d'auteur dans la société de l'information (8) n'a donc pas bouleversé le droit d'auteur allemand. Les exceptions existantes ont été maintenues, certaines ayant vu leur portée un peu élargie ou un peu réduite pour se conformer à la directive (9). Certaines exceptions qui existaient dans l'univers analogique ont été étendues à l'univers numérique dans la logique de la directive et du droit allemand. Il en est ainsi avec la limitation du droit exclusif de mettre des œuvres protégées à la disposition du public pour certains actes à des fins exclusives d'illustration dans le cadre de l'enseignement ou de la recherche scientifique.
Cette exception, qui existait pour la reprographie, prend, pour le numérique également, la forme d'une licence légale faisant l'objet d'un droit à rémunération exercé par la voie de la gestion collective (10). On trouve dans cet exemple la parfaite illustration du respect de la règle communautaire (facultative) dans l'application de la tradition juridique allemande du droit d'auteur.
La transposition de la directive est intervenue en Grande- Bretagne par l'adoption, le 3 octobre 2003, du Statutory Instrument 2003 n° 2498 (11) intitulé " The Copyright and Related Rights Regulations 2003 ", entré en vigueur le 31 octobre 2003, qui modifie le Copyright, Design and Patents Act 1988 (12). Ce texte a apporté de nombreuses modifications au Copyright Act, certaines d'entre elles ne résultant cependant pas de la transposition de la directive (13). Cette loi n'a pas ajouté de nouvelle exception au droit britannique. Il convient ainsi de souligner que le droit du Royaume-Uni ne connaît toujours pas l'exception de copie privée. On notera également que d'autres exceptions ont vu leur portée restreinte, à l'exemple des exceptions pour la recherche et pour les bibliothèques. Plus important, la notion de fair dealing, qui ne constitue pas une exception en soi mais une condition à respecter pour l'application de certaines exceptions (enseignement, recherche, bibliothèques, etc.) n'a pas été touchée par la loi de transposition.
Cette notion juridique, qui conformément à l'esprit du droit de common law n'est pas définie par la loi, conserve toute sa portée, celle-ci résultant de l'application qui en est faite par les tribunaux au cas par cas.
Nous pourrions multiplier les exemples issus de ces lois de transposition et démontrer que la mise en œuvre du dispositif d'exceptions facultatives prévu par la directive 2001/29/CE n'a provoqué ni bouleversement dans les droits de ces deux pays ni rupture des équilibres qui leur sont propres. Mais nous abuserions de la patience du lecteur.
Nous ne souhaitons que souligner la nécessité de procéder à une transposition en droit français de la directive “société de l'information” conforme à la conception française du droit d'auteur, c'est-à-dire sans exception pour les usages pédagogiques et qui permette aux titulaires de droits et aux utilisateurs de dialoguer et de s'accorder, comme ils l'ont déjà fait pour la reprographie, par la voie contractuelle.
1er octobre 2004 - Légipresse N°215
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