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Tribune


01/10/2005


Droit d'auteur des agents publics Droit d'auteur des universitaires : chronique d'une mort annoncée



 

Vif émoi dans la communauté universitaire… S'il était adopté en l'état, le projet de loi (1) portant transposition de la directive européenne du 22 mai 2001 sur le «droit d'auteur (…) dans la société de l'information» risquerait, selon certains, de mettre en péril le droit d'auteur des agents publics et plus particulièrement des universitaires (2). Outre les dispositions imposées par ladite directive, ce projet en comporte d'autres sans aucun rapport avec le texte communautaire. Il en est ainsi de son titre II relatif au droit d'auteur des agents publics. La technique législative est contestable. Elle est pourtant désormais courante. L'incidence du régime proposé sur le droit d'auteur des universitaires suscite l'inquiétude.
Est-elle totalement justifiée ? Dispositions nouvelles Le titre II du projet de loi comporte trois articles.
L'article 16 reconnaît aux agents publics la titularité initiale des droits sur les oeuvres réalisées dans l'exercice de leurs fonctions. Il réserve cependant le cas «des exceptions prévues » par le Code de la propriété intellectuelle.
La même restriction se trouve d'ailleurs introduite pour les créations faites en application d'un «contrat de louage d'ouvrage ou de service » dans le cadre du secteur privé.
Les dispositions suivantes viennent tempérer la portée du principe nouvellement posé en faveur des agents publics.
L'article 17 limite leur droit moral. Il encadre l'exercice de leur droit de divulgation. Il les prive, comme en matière de logiciels, du droit au respect et du droit de retrait et de repentir. L'article 18 institue, au profit de l'administration, un mécanisme de cession légale des droits sur les oeuvres utilisées « dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public » et un simple « droit de préférence » pour celles qui feraient l'objet d'une exploitation commerciale.
Auteurs de leurs oeuvres, les agents publics seraient, dans les faits, privés de leur droit moral et dépossédés de leurs prérogatives patrimoniales. Un tel régime menacerait gravement le droit d'auteur des universitaires.
L'exercice du droit de divulgation de l'universitaire serait subordonné au « respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d'agent » public. L'auteur ne serait plus maître de la publication de ses travaux.
Restreint, son droit au respect ne lui permettrait plus de « s'opposer à la modification de l'oeuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique », sauf en cas d'« atteinte à son honneur et à sa réputation ». Perdant l'usage du droit de retrait et de repentir, il ne pourrait pas faire obstacle à la réédition de ses publications ou à leur maintien à la disposition du public.
Le service public de l'enseignement supérieur a pour objet d'assurer « le développement de la culture et la diffusion des connaissances et des résultats de la recherche » (3). Réalisés dans « l'accomplissement d'une mission de service public », les travaux universitaires entreraient donc dans le champ d'application de la cession légale.
Le « droit de préférence », accordé à l'administration pour l'exploitation commerciale des oeuvres universitaires, comme de celles de tout autre agent public, retirerait, à leurs auteurs, le libre choix de l'éditeur. Le projet de loi ne comporte aucune précision sur les modalités de mise en oeuvre de ce droit. mais le privilège consenti à l'administration pourrait faire gravement concurrence aux éditeurs privés et, à termes, nuire à la diffusion de la recherche. Les universités n'ont pas les moyens nécessaires à une véritable activité d'édition. Les incertitudes relatives à la détermination du titulaire des droits feraient obstacle à la conclusion de contrats de partenariat entre les établissements publics de recherche et le secteur privé. Sur ce point, la Commission des lois de l'Assemblée nationale a amendé le projet de loi (4) pour exclure, de l'application du « droit de préférence », les activités de recherche faisant l'objet de tels contrats.

Usages administratifs actuels Le droit d'auteur des universitaires ne semble cependant pas beaucoup plus menacé par les dispositions du projet qu'il ne l'est ou n'aurait pu l'être depuis plus de trente ans! Dans le silence du Code de la propriété intellectuelle, le droit d'auteur des agents publics (5) est actuellement régi par les principes dégagés par le Conseil d'État, dans un avis “OFRATEME” du 21 novembre 1972 (6). Selon cet avis, « les nécessités du service exigent que l'administration soit investie des droits de l'auteur sur les oeuvres de l'esprit (…) dont la création fait l'objet même du service». Une telle conception heurte le principe selon lequel la qualité d'auteur appartient aux personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de l'oeuvre.
Elle a été critiquée par la doctrine privatiste et par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) (7).
L'application de l'avis du Conseil d'État n'aurait pas dû faire obstacle à la reconnaissance du droit, pour les universitaires, de publier leurs cours. Les « nécessités du service » ne sont alors pas en cause. Pourtant, l'attribution, à l'administration, des droits sur les oeuvres « dont la création fait l'objet même du service » a parfois conduit les tribunaux à restreindre les droits d'un professeur sur son enseignement (8) et à nier ceux d'un allocataire de recherche sur ses travaux (9).
Le projet de loi n'est pas très différent des usages administratifs actuels. Il tient compte des intérêts de l'administration, tout en étant formellement plus protecteur des droits d'auteur des agents publics. Leur reconnaissant la qualité d'auteurs, il les fait théoriquement entrer dans le champ du droit commun. Il présente l'avantage de mettre fin à un régime d'exception bien incertain.
Les restrictions apportées au droit d'auteur des agents publics sont évidemment regrettables. La continuité du service public n'impose pas une telle amputation du droit moral. Le projet maintient un “fractionnement” de la dévolution des droits patrimoniaux selon les modes d'exploitation. Par principe, ces droits sont attribués aux agents. Ils font l'objet d'une cession légale à l'administration pour l'exploitation des oeuvres dans le cadre du service public. Mais ils sont restitués à leurs titulaires originaires en cas d'exploitation commerciale, l'administration ne disposant, alors, que d'un « droit de préférence ». Tout cela est bien complexe ! Danger pour les universitaires ? Il n'est cependant pas certain que le régime envisagé pour les agents publics constitue un réel danger pour les universitaires.
L'indépendance et la liberté d'expression des professeurs de l'enseignement supérieur sont garanties par leur statut (10). Les limitations du droit au respect et du droit de repentir des agents publics ne devraient pas être appliquées aux universitaires. Sur le plan patrimonial, la cession des droits est consentie en contrepartie de l'intéressement des agents concernés. Elle est limitée dans son champ d'application. L'administration a fait preuve d'une grande souplesse dans l'interprétation de l'avis OFRATEME, en particulier à l'égard des enseignants. Titulaire des droits sur les leçons orales des professeurs, elle leur a toujours laissé la possibilité de publier leurs cours, en opérant une distinction selon le mode d'exploitation.
Tel qu'envisagé, le régime de dévolution des droits d'auteurs des agents publics ne devrait pas fondamentalement modifier la pratique administrative. Certes, le projet de loi ne prend pas expressément en compte la spécificité des oeuvres universitaires et des modalités de leur diffusion. Mais il est peut-être un peu tôt pour sonner le glas du droit d'auteur des universitaires. Légitime, le souci de préserver ce droit ne justifie probablement pas l'institution d'une exception en leur faveur.
Le droit d'auteur des universitaires est fragile. Nombre de leurs créations sont orales. Faute de « tangibilité » (11), l'effectivité de la protection de celles-ci est nécessairement limitée. Les oeuvres universitaires sont les premières victimes de divers usages à des fins d'enseignement ou de recherche (12).
Au-delà de la question de la titularité et de l'exercice des droits, un autre danger, bien plus grave, pèse sur le droit d'auteur des universitaires : l'éventualité de l'introduction, en droit français, d'une exception au droit d'auteur en faveur de l'enseignement et de la recherche.
Une “exception” à finalité pédagogique porterait atteinte à la protection des oeuvres universitaires. Elle conduirait inévitablement à en restreindre la création et l'exploitation.
La transposition de la directive communautaire, qui autorise une telle exception, pourrait donner lieu à un amendement en ce sens. Ce serait alors “la mort”, annoncée et, pour d'autres raisons, tant redoutée par certains, du droit d'auteur des universitaires.
1er octobre 2005 - Légipresse N°225
1635 mots
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