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Tribune


01/03/2006


De la liberté de la caricature



 

En février 1834, la une du journal Le Charivari publie le texte de la condamnation de son fondateur, Charles Philipon, poursuivi pour la représentation irrévérencieuse, dans une série de croquis d'Honoré Daumier, de métamorphoses du visage du roi Louis-Philippe en poire. Le jugement est reproduit selon une typographie épousant les contours d'une poire! L'insolence du directeur de la publication témoigne de la verve et de l'ironie des journaux satiriques de l'époque. L'année suivante, Louis-Philippe obtient le vote de la loi du 9 septembre 1835, laquelle est inscrite dans la mémoire journalistique comme la loi de censure des journaux de caricatures et d'interdiction de la satire politique… Le retour sur ces événements de la monarchie de Juillet permet de mesurer combien le régime de liberté de la caricature a été une difficile conquête du XIXe siècle. Non seulement ce principe a été extrêmement contesté mais il demeure fragile et souffre de récurrentes remises en cause pendant les périodes troublées.
Une liberté contestée. On connaît le vibrant plaidoyer d'Alphonse de Lamartine en faveur de la liberté de la presse, dans un discours prononcé à la chambre des députés le 21 août 1835, discours par lequel il fustige le texte en discussion. « Mais que j'étais loin de m'attendre à cette loi de mort, à cette loi de masque contre la presse, à cette loi qui restera une date dans les annales des aberrations, des ingratitudes humaines ! (…) Combien de fois n'ai-je pas partagé vos justes indignations, combien de fois n'aurais-je pas été tenté de la maudire moi-même et de lui souhaiter un bâillon de fer, si je ne m'étais pas souvenu que bâillonner la presse, c'était bâillonner à la fois le mensonge et la vérité, c'était bâillonner l'esprit humain ! », s'enflamme Lamartine.
Pourtant le point névralgique des caricatures lui inspire des propos plus ambigus : «Ainsi Messieurs, qu'une juste clameur publique, trouvant sa sanction dans cette Chambre, fit disparaître devant la loi ce qui a déjà disparu devant le dégoût public, non pas la caricature politique et littéraire, cette satire lithographiée, cette spirituelle parodie de la figure, qui n'enlaidit pas plus le visage que les parodies de nos théâtres subalternes n'enlaidissent Voltaire et Racine, mais la caricature atroce et séditieuse, où la perversité du coeur joue avec le crime et bafoue les saintes images de la patrie et de la religion.
En effet, Messieurs, la caricature n'est pas l'exercice du droit de publier son opinion : c'est le droit de dessiner et de vendre l'injure, et l'injure n'est pas dans la Charte».
Cette ambivalence de la pensée de Lamartine est à la mesure du trouble suscité alors par l'humour décapant, voire la violence de certaines caricatures.
Une liberté supprimée. L'article 20 de la loi du 9 septembre 1835 est, à cet égard, sans concession : « aucun dessin, aucunes gravures, lithographies, médailles et estampes, aucun emblème, de quelque nature et espèce qu'ils soient, ne pourront être publiés, exposés ou mis en vente sans autorisation préalable du ministre de l'Intérieur, à Paris, et des préfets, dans les départements (…)». Ce régime d'autorisation avait été imaginé par une loi du 31 mars 1820, confirmé par une loi du 25 mars 1822, puis abrogé par la loi du 8 octobre 1830, issue de l'insurrection contre les quatre ordonnances de Charles X, dont l'une limitait la liberté de la presse. La loi de 1835 est abrogée le 6 mars 1848, pour être restaurée par le décret du 17 février 1852! C'est dire combien la question du contrôle des caricatures est sensible tout au long de ce siècle. La sévérité de la réponse législative est clairement assumée par les juristes de l'époque, au motif pris de l'impact de l'image, de sa force symbolique.
Commentant ce dispositif en 1856, D. Dalloz, considère que « les dessins, les médailles, les emblèmes, frappent l'intelligence d'une manière plus vive et souvent plus impressive que les écrits». Il rappelle que le garde des Sceaux Persil, lors de la discussion menée le 4 août 1835, avait observé que «par l'exposition d'un dessin, on s'adresse aux hommes réunis, on parle à leurs yeux; il y a là plus que la manifestation d'une opinion, il y a un fait, une mise en action, une vie»… (1) Cette hantise de la caricature conduit à des débats quelque peu surréalistes, puisqu'est posée très sérieusement la question de l'application de la loi de 1835 à des dessins sur étoffe, voire à des savons et à leur emballage.
En outre, des amendements avaient été présentés tendant à soustraire à la loi les mémoires de l'Académie des Sciences, «toujours remplis de gravures»! Le ministre de l'Intérieur les a refusés au motif que « s'ils étaient adoptés, on se servirait des emblèmes les plus innocents, des emblèmes scientifiques, pour faire les caricatures les plus scandaleuses, les plus outrageantes », soulignant qu'il « n'y a pas une administration, quelque opinion qu'elle professe, à quelque parti qu'elle appartienne, qui soit assez folle, pour tourmenter les savants »(2). Le spectre des caricatures agite très fortement les esprits…

Une liberté restaurée. Sous la IIIe République, la volonté de supprimer toute censure de la presse illustrée inspire fortement Eugène Lisbonne, rapporteur de la loi du 29 juillet 1881. Voyant dans l'autorisation préalable, « l'arme nécessaire des pouvoirs despotiques et discrétionnaires », il observe que « la censure ne serait, elle non plus, qu'un souvenir, si elle n'avait été partiellement maintenue sous un nom d'emprunt, et si l'on n'était pas obligé en 1880, comme en 1822, 1835, et 1852 de soumettre à l'approbation préalable» (3) les dessins, gravures, lithographies ou estampes. Il ajoute que « si toute restriction antérieure à la manifestation de la pensée doit être sévèrement proscrite, si le journaliste n'a plus à soumettre ses articles aux ciseaux de la censure, il n'y a que l'arbitraire qui puisse maintenir une différence entre la plume de l'écrivain et le crayon du dessinateur » (4).
Madame Anastasie est congédiée et le régime d'autorisation est abrogé. La spécificité des dessins, gravures, peintures ou emblèmes n'est conservée que dans l'incrimination d'outrage aux bonnes moeurs (5) de l'article 28 de la loi de 1881, s'agissant de la saisie préventive d'images obscènes, délit abrogé en 1939 pour être intégré dans le Code pénal. En revanche, après discussion, il est décidé de supprimer, dans le délit de provocation aux crimes et délits de l'article 23, la référence aux dessins, gravures, peintures ou emblèmes, pour ne les envisager que reproduits dans les «imprimés».
Ce souci de protection de l'image de personnages publics a ressurgi dans la législation sous Vichy. Par un décret du 27 janvier 1941, le Maréchal de France décide que « toutes les oeuvres d'art représentant les traits du Chef de l'État : photographies, gravures, dessins, peintures, estampes, médailles, timbres, sculptures, effigies et toutes reproductions ne pourront être diffusées, vendues ni exposées sans avoir été soumises au préalable à la censure centrale sous forme de photographie ou maquette » (6). Ce décret est remplacé, en juillet 1941, par de nouvelles dispositions comprenant une surenchère d'interdictions et de précautions et assorties, cette fois-ci, de sanctions pénales (7). Il est abrogé à la Libération.
Une liberté responsable. Au principe durement acquis de liberté de la caricature fait, bien entendu, écho un principe de responsabilité. La décision de publier telle ou telle oeuvre participe évidemment de la déontologie des artistes et des médias. Une mise en cause de leur responsabilité est encourue, dès lors qu'outrepassant les salutaires franchises dont bénéficie l'humour (8), les caricatures délivrent un message constitutif d'un délit prévu par la loi, tel que la provocation aux infractions, l'injure ou la diffamation, et notamment dans leur dimension discriminatoire à l'égard d'un groupe de personnes, à raison de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, nation, race ou religion (9).
Au plan judiciaire, le débat est donc circonscrit aux incriminations existantes. Le législateur de 1881 avait insisté sur le fait que la loi nouvelle supprimait implicitement toutes les dispositions pénales qu'elle ne mentionnait pas, dont nombre d'offenses et d'outrages, délits dits d'opinion, de doctrine ou de tendance. Étaient, par exemple, abolis les délits d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement, d'attaque contre le respect dû aux lois ou d'outrage envers la République, ou encore d'outrage à la morale publique et religieuse et d'outrage aux religions reconnues par l'État, incriminations sur le fondement desquelles étaient prononcées, au XIXe siècle, les condamnations pour avoir « tourné en dérision » une des religions reconnues en France (10). Dans le droit fil de cette évolution de la liberté de la presse, il importe d'être vigilant sur l'application du principe de primauté (11) de la loi de 1881. Au demeurant, quel que soit le fondement de la procédure, il est nécessaire d'objectiver la faute dans le propos incriminé (12). Cette faute ne saurait se réduire à la constatation du préjudice, qu'est l'atteinte à la sensibilité ou aux sentiments (13), quand bien même un choc, voire une blessure, peuvent être ressentis par certains destinataires du message.
Les caricaturistes ont vocation à brocarder des personnages ou des symboles, séculiers ou religieux. La puissance évocatrice de l'image peut accentuer l'impression d'outrage, voire d'agression, mais il convient d'avoir sans cesse à l'esprit que la liberté d'expression, pilier de la démocratie, « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population » (14). On ne saurait faire l'économie, dans un contentieux aussi sensible pour la liberté d'expression, d'une réflexion sur la distinction à opérer entre l'atteinte répréhensible à une personne ou à un groupe de personnes et l'atteinte à un symbole ou à un dogme… délit d'opinion.
1er mars 2006 - Légipresse N°229
1919 mots
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