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Tribune


01/04/2007


Faut-il abroger la loi Bichet du 2 avril 1947 ?



Laurent PASTEUR
Éditeur de presse, Administrateur du Syndicat de la Presse Sociale, membre de ...
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Dans la conjoncture difficile que traverse la presse, des éditeurs aux marchands de journaux, et alors qu'Hachette évoque son possible retrait des NMPP (souhaité et/ou redouté ?), il est coutumier d'imputer à la loi Bichet bien des maux. Les déclarations à l'emporte-pièce sur sa nécessaire abrogation ou son toilettage incontournable témoignent soit d'une mauvaise foi, soit d'une coupable méconnaissance de ce qu'elle est : une loi simple, circonstanciée à la seule organisation de la distribution entre les éditeurs, et contribuant hautement à la vitalité de la presse en France depuis 60 ans ! Ce cadre législatif a été imaginé dès 1946 par Robert Bichet. MRP, résistant, journaliste, éditeur de l'Aube, et ministre chargé de l'Information pendant 2 mois dans le cabinet Bidault, il a conçu cette loi qui fut déposée le 20 février, discutée puis votée par l'Assemblée le 27 mars : la loi du 2 avril 1947, dite “loi Bichet”.
Pour bien comprendre, rappelons que cette loi s'est bâtie en réaction contre la situation qui prévalait avant la Seconde Guerre mondiale, dans laquelle Hachette disposait d'un monopole de fait de distribution de la presse, jugé par une partie des forces politiques comme inacceptable et dangereux.
À l'issue de la guerre, les biens des Messageries Hachette, réquisitionnés par les Allemands dès juin 1940 et dévolus à la Messagerie de la Coopérative des Journaux Français créée pour la circonstance, furent placés sous séquestre pour faits de collaboration avec l'ennemi. Leur jouissance fut provisoirement confiée au Groupement National de Distribution des Journaux et Publications. En septembre 1945, furent créées les Messageries Française de la Presse. Les nouveaux dirigeants manquaient d'expérience.
Les tarifs étaient inadaptés. Proches du Parti communiste, ils voulaient surtout faire de l'entreprise une vitrine sociale. En août 1946, Hachette reprend et développe une petite messagerie, l'Expéditive. En quelques semaines, elle embauche plusieurs centaines de salariés parmi les plus compétents des Messageries. Plusieurs éditeurs importants, attirés par de meilleures conditions commerciales et inquiétés par les retards de trésoreries des MFP, quittent celle-ci, précipitant ainsi sa faillite. Le gouvernement est contraint de confier provisoirement à la Société Nationale des Entreprises de Presse, créée à la Libération pour gérer les réquisitions de presse, le soin de distribuer la presse afin que celle-ci ne soit interrompue. La plupart des éditeurs et des hommes politiques redoutent que ce contexte ne favorise le rétablissement d'un monopole privé dont plus personne ne veut. Le gouvernement convient de mettre en oeuvre « l'organisme viable, rentable, assurant aux journaux distribués toutes les garanties d'impartialité dans la distribution, de solvabilité, sans défaillance, d'honnêteté professionnelle scrupuleuse qu'ils sont en droit d'exiger ». La direction d'Hachette est également convaincue que l'époque ne permet plus un retour à la situation d'avant-guerre. Elle participe donc étroitement à l'émergence du compromis législatif qui va lui permettre de retrouver une place significative dans la distribution de la presse. La SGM (Société de Gérance des Messageries qui gère l'Expéditive) apportera dans les NMPP qui vont naître, tous ses actifs et techniciens en échange de 49 % des parts de la nouvelle société.
Que dit la loi ? « La diffusion de la presse imprimée est libre », affirme-t-elle en écho au principe de “liberté de la presse” posé par la loi du 29 juillet 1881.
Ainsi, « toute entreprise de presse est libre d'assurer elle-même la distribution de ses propres journaux et publications périodiques par les moyens qu'elle jugera les plus convenables à cet effet » (article 1er). « Le groupage et la distribution de plusieurs journaux et publications périodiques ne peuvent être assurés que par des sociétés coopératives de messageries de presse soumises aux dispositions de la présente loi. » (article 2). C'est l'affirmation du principe coopératif jugé seul à même d'assurer l'impartialité de la distribution, l'égalité des éditeurs devant la diffusion dans la recherche du moindre coût possible.
« L'objet des sociétés coopératives de messageries de presse est limité aux seules opérations de distribution et de groupage des journaux et publications périodiques édités par les associés de la société coopérative. Toutefois, cette

limitation ne fait pas obstacle à l'accomplissement des opérations commerciales relatives à l'utilisation des divers éléments du matériel qu'elles emploient à cet effet » (article 4).
Mais surtout, et c'est cette disposition qui permit à Hachette de redevenir l'acteur majeur de la distribution de la presse, « si les sociétés coopératives décident de confier l'exécution de certaines opérations matérielles à des entreprises commerciales, elles devront s'assurer une participation majoritaire dans la direction de ces entreprises, leur garantissant l'impartialité de cette gestion et la surveillance de leurs comptabilités. ».
Robert Bichet s'en expliqua alors : « Ce sont les sociétés coopératives qui, ne pouvant effectuer certaines opérations commerciales limitées, feront appel comme clientes à d'autres sociétés commerciales sans doute mieux outillées pour certains transports et certaines diffusions ».
Cette exégèse stipulait bien que les coopératives ne pourraient confier à des sociétés commerciales que certaines opérations matérielles, ce qui excluait qu'elles en confient la totalité ! Force est de constater que l'esprit du législateur a été peu ou prou trahi. Les sociétés commerciales, créées à la suite de l'intervention de la loi Bichet, assurent en fait la totalité des opérations de groupage et de distribution. Il est important de noter aussi que le projet initial stipulait seulement : « que (les coopératives) devront s'assurer une participation dans la direction de ces entreprises (commerciales) leur garantissant l'impartialité de cette gestion et la surveillance de leur comptabilité ».
Seulement une participation dans la direction et non le capital ! L'objectif n'était alors que d'exercer une simple surveillance des coopératives sur les sociétés commerciales chargées de certaines opérations matérielles. Un amendement essentiel, consistant à adjoindre après le terme « participation » l'adjectif « majoritaire », sera retenu après d'épiques débats « afin qu'aucun capital et qu'aucun capitaliste autres que les personnes morales ou physiques propriétaires de journaux, ne pourront s'immiscer dans les opérations de distribution. » (Alfred Coste Floret, député MRP). Ces quatre premiers articles forment le socle autour duquel s'ordonne et s'articule tout le système conçu par le législateur pour assurer la distribution de la presse dans le respect des principes de liberté, d'impartialité et d'égalité.
Les articles suivants ne donnèrent pas moins lieu à des débats passionnés et à la tentative des députés communistes et socialistes de faire en sorte qu'Hachette soit exclue du système de distribution de la presse. Ils précisent certains points particuliers, définissent le Conseil Supérieur des Messageries de Presse et statuent sur le sort des biens d'Hachette. Obligation est prise par l'associé de faire distribuer son titre par le biais de la coopérative, ou plutôt obligation négative de ne pas le distribuer par lui-même ou par le biais d'un tiers, dans le réseau de vente couvert par la coopérative (article 5). Cet engagement est la manifestation de l'affectio societatis qui unit les associés au sein de la coopérative. De même, obligation est mise à la charge des coopératives de ne pouvoir s'opposer à l'entrée dans leur capital de tout journal ou périodique qui offrira de conclure avec elle un contrat de transport (ou de groupage et de distribution). Très important, il est ainsi octroyé à tout éditeur de journal ou périodique un véritable droit à la distribution.
En contrepartie, les coopératives sont contraintes à ne pouvoir refuser l'adhésion d'un éditeur (article 6).
La loi consacre la possibilité de constituer la société coopérative en région avec un nombre de trois associés seulement au lieu des sept fixés par la loi du 24 juillet 1867, nombre jugé inadapté aux réalités régionales afin de faciliter leur constitution sur le plan local (article 9). Le principe démocratique des sociétés coopératives – chaque sociétaire n'ayant droit qu'à une seule voix dans les assemblées générales (article 10) – est affirmé. Ce principe sera d'ailleurs repris dans la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération. La loi soumet à l'approbation de l'Assemblée Générale le barème des tarifs de messageries qui s'impose alors à toutes les entreprises de presse clientes de la coopérative (article 12). C'est la manifestation du principe d'égalité de traitement des éditeurs qui constitue le fondement de leur adhésion par l'acceptation du barème pratiqué. De subtils distinguos sémantiques ont permis depuis de ne plus soumettre aux assemblées que les barèmes “communs”, et de laisser aux sociétés commerciales toute latitude sur les tarifs dit “hors barèmes”.
Le Conseil Supérieur des Messageries de Presse est créé.
Son rôle est de coordonner l'emploi des moyens de transports à longue distance utilisés par les sociétés coopératives de messageries de presse, de faciliter l'application de la présente loi et d'assurer le contrôle comptable par l'intermédiaire de son secrétariat permanent (article 17). La coordination des moyens de transport est liée au contexte de pénurie d'alors et des économies qu'il convenait de réaliser par une rationalisation et une coordination des transports.
Le contrôle de la gestion des Sociétés Coopératives de Messageries de Presse devait empêcher la résurrection du système Hachette (dixit Robert Bichet lui-même). Quant à « faciliter l'application de la présente », cette attribution sibylline n'est pas la moindre, bien au contraire. Robert Bichet précise que le CSMP aura pour mission de : « contrôler la stricte application de la loi », ce qui est un rôle beaucoup plus fort que les termes mêmes du texte le laisseraient penser. Cette attribution donne donc au CSMP sa véritable fonction d'autorité morale gardienne du texte de la loi, avec comme mission de veiller à sa bonne application. Clé de voûte du système, il est le garant de son intégrité. Son pouvoir est alors renforcé en instituant un deuxième contrôle financier sur les sociétés coopératives, et surtout en l'étendant aux sociétés commerciales de Messageries ellesmêmes (article 21). L'étude détaillée de l'exercice effectif de ses attributions et de leur évolution est par ailleurs riche d'enseignement.
Soixante ans après, et même si la loi Bichet comporte nombre d'imperfections ou d'ambiguïtés, et qu'elle a corseté la presse dans des règles plutôt contraignantes, elle lui a donné en contrepartie les moyens de soustraire sa distribution du contrôle de l'État ou de celui d'une entreprise commerciale à caractère monopolistique. Et comme le dit Aguesse, sénateur MRP, en 1947, « la liberté a ses règles, (...) c'est la tyrannie seule qui ne connaît point de loi, (...) la liberté doit toujours se présenter avec son armure qui la protège, car lorsqu'elle apparaît dans le simple appareil de sa nudité, cette grande dame réveille certains instincts et ce beau spectacle se termine généralement par un viol. » Pour plus d'informations sur cette loi et les analyses qui peuvent en être faites, consulter le site www.loi-bichet.fr
1er avril 2007 - Légipresse N°240
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