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Tribune


01/05/2007


L'internet est-il un support distinct de ceux autorisés pour la promotion des boissons alcooliques ?



 

Dans un souci de lutte contre l'alcoolisme, l'article L. 3323-2 du Code de la santé publique encadre strictement « la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques » en visant les supports et les conditions dans lesquelles leur promotion peut être effectuée.
Internet, mode de diffusion de communications multiformes, échappe aux catégories autorisées visées par cet article issu de la loi Evin (1). C'est en tout cas ce que les très rares décisions de jurisprudence rendues en matière de diffusion de messages diffusés par l'internet concernant des boissons alcooliques laissent entendre.
Dans ces décisions, les juges penchent en effet pour une assimilation globale de l'internet (envisagé comme un tout) à un support de publicité prohibée.
Il est vrai que les juges saisis n'ont pas eu, jusqu'alors, à connaître ou à se prononcer à titre principal sur la diffusion de publicités en faveur de boissons alcooliques par l'internet, si ce n'est que de manière accessoire alors qu'ils avaient à juger la seule conformité du contenu de ces publicités aux exigences formulées par le Code de la santé publique. Mais leur approche globale de l'internet pourrait avoir des répercussions importantes, en ayant pour effet d'obliger les producteurs, importateurs ou négociants de boissons alcooliques à considérer que toute activité, quelle qu'elle soit, sur l'internet leur serait interdite. Or, s'agissant d'un domaine où les incertitudes plutôt que la sécurité juridique l'emportent, il nous semble que les juges ne devraient pas pouvoir continuer à affirmer que : « l'article L.3323-2 du Code de la santé publique définit les supports autorisés exclusivement à diffuser la propagande ou la publicité en faveur des boissons alcooliques ; que leur énumération, limitative, ne comprend pas le réseau internet ; que la seule diffusion sur un site internet d'une publicité en faveur d'une boisson alcoolique constitue un trouble manifestement illicite » (2).
Un tel raisonnement est certes construit sur un syllogisme juridique qui paraît implacable : la loi précise les supports publicitaires autorisés pour les boissons alcooliques, or l'internet est un support publicitaire qu'elle ne vise pas, donc une publicité pour une boisson alcoolique sur l'internet est illicite (3).
Cette lecture de la loi nous semble cependant inadaptée aux réalités techniques et commerciales de l'internet et est contredite par les pratiques de communication actuelles. Faut-il rappeler que, sauf rares exceptions, les producteurs de boissons alcooliques disposent d'un site sur l'internet destiné à la présentation de leurs produits, laquelle constitue une publicité puisqu'elle vise à provoquer leur consommation. Lorsque des pratiques sont généralisées à ce point, on peut douter qu'elles constituent d'évidence un trouble manifestement illicite.
Or les juges ne peuvent négliger le pouvoir d'interprétation qui est le leur pour l'application de la loi.
Est-il certain que le législateur, en 1991 comme aujourd'hui (4), considère l'internet dans sa globalité comme un support publicitaire distinct de ceux autorisés ou non pour faire la promotion des boissons alcooliques ? S'il n'est pas douteux qu'« un site internet est susceptible de constituer un support publicitaire », comme l'a jugé la cour d'appel de Rennes relevant que « le critère essentiel du support de publicité réside dans le fait qu'il puisse véhiculer un message publicitaire, quelle qu'en soit la forme », la même Cour a aussi estimé que « la situation est exactement identique à celle de l'acheteur d'un journal contenant des publicités… (5) ». Les supports publicitaires autorisés par le Code de la santé publique

exploitent un mode de communication clairement identifié à l'égard du grand public, tandis que l'internet est un mode de communication qui met à la disposition du public par voie électronique des signes, écrits, images, sons ou messages de toute nature, parmi lesquels les supports autorisés de la presse écrite et de la radio, ou interdits, de la télévision notamment.
La prise en compte de la nature du réseau internet ne permet pas, de notre point de vue, d'affirmer que la diffusion d'une publicité sur celui-ci en faveur d'une boisson alcoolique constitue un trouble manifestement illicite, dès lors que le contenu du message publicitaire est conforme aux prescriptions du Code de la santé publique. Le réseau internet ne peut, selon nous, être globalement rejeté pour faire la promotion d'une boisson alcoolique et ce, pour trois raisons.
La première raison est que l'internet n'est pas seulement un moyen de communication, mais aussi un lieu de commerce électronique, c'est-à-dire « une activité économique par laquelle une personne propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services. » (6). Si les dispositions du Code de la santé sont applicables à toute information relative à une boisson alcoolique qui vise à provoquer sa consommation, elles n'en interdisent pas la vente sur l'internet ; le commerce électronique de ces produits entre dans le principe constitutionnel de la liberté du commerce et de l'industrie. Dès lors que le site internet d'un producteur ou distributeur d'une boisson alcoolique est ouvert au commerce en ligne il constitue « un lieu de vente à caractère spécialisé », destiné à exposer ses produits sous son enseigne et à en faire la promotion, notamment sous forme d'affichettes ou bandeaux publicitaires (7).
La seconde raison est que l'internet donne accès à des supports autorisés ou interdits à la publicité de boissons alcooliques, sans se substituer à eux ; il en est ainsi de la presse écrite comme des services de radiodiffusion sonore et de télévision. À cet égard nous pensons qu'il n'est pas possible de définir la nature du support internet de manière globale en l'assimilant à la presse écrite ou à la communication audiovisuelle, mais en fonction de la nature du contenu en cause. Tout contenu sur l'internet qui revêt les caractéristiques de la presse écrite doit pouvoir être le support d'une publicité en faveur d'une boisson alcoolique. Une décision déjà ancienne du tribunal de police de Paris du 3 août 1999 a considéré en ce sens qu'un site web devait être considéré comme une publication de presse, dès lors qu'il en remplit les critères, à savoir un mode écrit de la pensée mis à la disposition du public et paraissant à intervalles réguliers. En revanche lorsqu'un site web donne accès à un programme composé d'une suite ordonnée d'émissions comportant des images et du son, la diffusion d'une publicité en faveur d'une boisson alcoolique est illicite (8).
Est-ce à dire que toute diffusion sur l'internet d'un clip vidéo publicitaire en faveur d'une boisson alcoolique serait illicite ? La réponse n'est pas certaine. La troisième raison est en effet que le législateur a autorisé la publicité pour les boissons alcooliques « sous forme d'envoi (…) de messages, de circulaires commerciales, de catalogues et de brochures. », sans restreindre, à l'inverse du tabac (9), les moyens techniques par lesquels cet envoi est réalisé, ce qui laisse donc toute possibilité de le faire par voie électronique (10). Bien que le Code de la santé publique prévoit l'« envoi » de messages et qu'un site internet n'« envoie » pas à proprement parler de tels messages, il les met à la disposition du public, sous toute forme, pouvant comprendre le cas échéant des images animées et du son.
Il appartient donc aux professionnels du secteur des boissons alcooliques, aux spécialistes de l'informatique et d'internet ainsi qu'aux juristes d'expliquer et de démontrer, comme lors des premières décisions de justice ayant eu pour objet l'internet dans les années 1990, que la diffusion de messages satisfaisant aux prescriptions de contenu définies par le Code de la santé publique ne doit pas faire l'objet d'une interdiction générale et absolue.
Il ne s'agit pas ici d'une prise de position en faveur d'une mise en balance nouvelle entre les intérêts primordiaux de santé publique et les enjeux commerciaux du secteur alcoolier. Nous assurons juste que le dispositif du Code de la santé publique, par les très fortes contraintes en termes de contenus et de prévention qu'il impose et par l'application sévère qu'en font les juges, satisfait aux impératifs de lutte contre l'alcoolisme en matière publicitaire sans fermer un champ complet des modes de communication à l'heure de la généralisation de l'internet.
1er mai 2007 - Légipresse N°241
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