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Tribune


01/07/2007


La TVA en ligne



Didier Quillot
Président du Directoire Lagardère Active
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Entrer dans l'ère numérique est une nécessité. La convergence des médias n'est plus de la science-fiction.
Les éditeurs s'orientent rapidement vers des plateformes multimédias qui conjuguent l'écrit, la télévision, la radio et le net. C'est probablement la seule manière de lutter contre l'érosion de la diffusion de la presse. C'est la seule façon d'adapter le contenu éditorial des magazines, conformément à l'attente des nouveaux publics, habitués désormais au mouvement perpétuel de l'information. Le numérique, pour sa rapidité et l'ampleur de ses références, renforce la pertinence éditoriale.
Il ne s'oppose donc pas à l'écrit : il le nourrit et l'actualise.
Dans un groupe comme Lagardère Active, nous voulons parvenir en trois ans à un revenu compris entre 5 et 10 % en provenance du numérique seul. Et nous le faisons: aux États-Unis, l'an dernier, notre chiffre d'affaires numérique représentait 4,6 % et cette année 7 à 8 % avant l'acquisition de Jumpstart, puis 10 % après cette acquisition. Cela aura lieu également en Europe, et nous augmenterons rapidement nos 10 millions d'internautes. Les nouveaux médias n'ont jamais tué les anciens. Ils se sont toujours additionnés en précisant leur spécificité et leur segment d'audience.
Les éditeurs européens n'ont pas peur de ce changement, qui ne détruit pas la presse papier, mais ils ne veulent pas manquer le train du numérique, pour la seule raison qu'on n'aurait pas supprimé à temps les barrières. Il faut donc de toute urgence supprimer les obstacles au développement du net européen. Et parmi ceux-ci, l'obstacle du taux de TVA.
La TVA à taux réduit est indispensable à l'essor du numérique.
Car les investissements sont lourds pour les éditeurs: engagements de nouveaux salariés maîtrisant bien la communication numérique, acquisition de sociétés de services pour accélérer la croissance (comme Lagardère Active a fait avec Newsweb et Jumpstart), réorganisation commerciale et éditoriale des groupes multimédia… Les coûts de la numérisation et de la conversion des contenus, les investissements initiaux en “maquettes internet”, les coûts d'acquisition et de mise à jour fréquente des outils informatiques, les coûts de référencement des sites, les coûts de commercialisation s'additionnent… Première contradiction flagrante: dans un tel contexte, maintenir une TVA à 19,60 % sur les diffusions en ligne, alors que la presse écrite ne supporte en France qu'une TVA réduite à 2,1 %, équivaut à étouffer tout développement. Une incitation fiscale rapprochant la presse en ligne de la presse écrite est essentielle. Il s'agit d'un produit similaire au papier supportant des coûts de lancement très élevés, et dont les coûts de distribution et d'impression sont remplacés par des coûts d'affiliation à des sites et des référencements.
Deuxième contradiction flagrante: les services audiovisuels, y compris le “pay per view”, sont à un taux de TVA de 5,5 %, alors que la VOD (Video on Demand) est à un taux de 19,6 %. Et pourtant, la révision de la directive Télévision sans frontières, à laquelle vient de procéder la Commission, a étendu ses dispositifs à la fois au “pay per view” et à la VOD. Dans la mesure où la télévision est le seul secteur où les gouvernements contrôlent et pèsent lourdement sur cet univers médiatique – en France à travers le CSA et l'ARCEP – la presse, la radio et l'ensemble des services du net n'ont pas souhaité tomber sous la réglementation de cette directive, désormais nommée AVMS (Audiovisual Media Services). La Commission les en a donc exclus, à l'exception du service numérique de “pay per view”, pour lequel le flux continuel d'images s'apparente à la télévision, et du service de la VOD.
La situation juridique européenne est elle-même contradictoire. Un règlement de 2005 a introduit, après le texte de 2002, une séparation nette entre la presse écrite et la presse en ligne qui ôte aux États membres la possibilité d'appliquer un taux réduit à la diffusion en ligne. Cette prescription a un impact négatif sur le lancement de modèles économiques en ligne, et soumet les éditeurs à une concurrence déloyale. Au moment même où les annonceurs dispersent leurs budgets à travers des médias de plus en plus variés, cette disposition empêche les éditeurs européens d'investir dans la qualité du contenu numérique, ce qui n'est pas souhaitable pour l'avenir d'une société démocratique, où le rôle de ces éditeurs demeurera essentiel.
La contradiction provient de la définition même de l'activité en ligne. Si la définition n'est pas globale, des problèmes de concurrence déloyale surgissent sur les marchés concernés. Ainsi, certaines activités en ligne sont considérées comme des prestations de service, tandis que d'autres sont qualifiées de biens physiques, alors même que les activités sont substituables l'une à l'autre, comme la VOD et le PPV. Le téléchargement définitif est assimilé à de la distribution, alors que le téléchargement temporaire est assimilé à une prestation de service.

Pour l'édition, la contradiction fiscale est exprimée en toutes lettres dans la fameuse Annexe H de la 6e directive TVA du 17 mai 1977. Cette directive prévoit (dans son article 12) que les États membres peuvent appliquer un taux réduit de TVA pour les livraisons de biens et prestations de services listées en annexe H. Dans cette liste, sont mentionnés « la fourniture de livres (…), les journaux et périodiques, à l'exclusion du matériel consacré entièrement ou d'une manière prédominante à la publicité ». Toutefois, ce même article comprend un ajout de 2002 qui exclut l'application du taux réduit aux « services fournis par voie électronique ». Bien entendu, cet ajout est temporaire, l'objectif étant à terme d'appliquer en ligne la TVA du pays du client afin d'être sûr d'éviter toute distorsion entre deux prestataires, selon le pays dans lequel ils sont situés. Mais, tant que cette règle temporaire existe, les autorités fiscales européennes excluent les services électroniques de l'application des taux réduits de TVA. Au regard de ce qui précède, on constate que les textes européens dénaturent l'activité des éditeurs.
Ils changent leur statut de créateur de contenus en celui de simple prestataire de services, du seul fait de l'utilisation de canaux numériques pour la diffusion de contenus pourtant identiques, toujours rédigés par des journalistes et ayant le même objectif de diffusion de l'information et de culture.
En outre, le refus d'appliquer un taux réduit aux services électroniques fournis par les éditeurs de presse est contraire aux principes de neutralité et d'équité de l'OCDE, à retenir pour la détermination des règles en matière de fiscalité numérique: « les contribuables qui se trouvent dans des situations similaires et qui effectuent des transactions similaires devraient être soumis à des niveaux d'imposition similaires ». Il s'agit donc manifestement d'un domaine où les États membres devraient être libres d'appliquer à la presse en ligne les taux réduits de TVA qu'ils souhaitent, en cohérence avec les règles du lieu de taxation, pour éviter toute distorsion de concurrence. Le seul conseil de Bruxelles que nous pourrions accepter est d'indiquer aux États Membres que dans un même pays les taux de presse écrite et en ligne doivent être les mêmes.
En France, le gouvernement a pris position pour un taux réduit. Si la réflexion européenne avait été plus avancée, la France aurait pu aligner le taux en ligne sur le taux de la presse écrite. Mais le gouvernement français ne paraît pas suivi pour l'instant, par ses partenaires européens. Bien plus, la Commission européenne n'a présenté aucune proposition le 4 juillet, dans son rapport sur les taux réduits de TVA, pourtant écrit après l'étude réalisée par l'Institut danois indépendant “Copenhagen Economics”. Les conclusions très mitigées de cette étude reprennent un raisonnement connu de l'administration bruxelloise des finances, qui conteste l'impact “significatif” des taux réduits, sur la croissance et l'emploi. Cette position de repli semble d'ailleurs confortée par la batterie de taux réduits différents appliqués à la presse dans les États membres, et par la frilosité anglaise qui craint sans raison la remise en cause de son taux 0 pour l'écrit. Les États membres retrouveront aisément les recettes perdues par le nombre des usagers, en compensation de la perte apparente du taux réduit en ligne.
Faut-il rappeler aussi cependant à la Commission que les taux réduits de la presse écrite ont eu un impact très positif pour enrayer ou stabiliser leur diffusion en crise, en Angleterre, en Suède, en Finlande et en France? En Suède, la décision d'appliquer des taux réduits sur le Livre a eu pour conséquence un accroissement de 17 % des ventes en librairie en une seule année.
Faut-il rappeler que l'accès des consommateurs à la presse en ligne ne peut être facilité que par un taux unique de TVA auquel la Commission a toujours été favorable? La Commission devrait proposer une harmonisation fiscale, notamment en suggérant que les dérogations offertes à certains pays puissent, dans un premier temps, être étendues à l'ensemble des États membres, ce qui conduirait à une harmonisation des taux. Ce serait justice car l'égalité d'accès des consommateurs à Internet serait ainsi rétablie. Sait-on que les universités et les hôpitaux ne peuvent pas être remboursés pour la TVA ainsi dépensée? Sait-on que l'accès, la diffusion et la présentation de l'information scientifique à l'ère numérique – objectifs hautement réaffirmés par la Commission – sont entravés par le coût de plus en plus élevé des revues scientifiques et le taux élevé de TVA sur les produits électroniques? Sait-on assez que la presse subit de plein fouet l'essor des journaux gratuits et affronte la “culture” du gratuit, dont la pression interdit aux éditeurs l'augmentation de leur prix? La présence numérique de la Presse apporte donc une réponse à la crise de l'écrit, et de surcroît fait entrer la Presse dans le cadre du développement durable.
*** Le secteur des médias est un acteur économique important en France, puisqu'il pèse environ 20 milliards d'euros, et qu'il se situe en Europe avec les communications au 6e rang des secteurs économiques non financiers, en représentant 320 milliards d'euros. Son avenir passe par Internet puisqu'il permet aux lecteurs de consulter leur journal ou leur magazine à l'heure et à l'endroit de leur choix, de gérer les conséquences de la baisse de fréquentation des kiosques et de rajeunir le lectorat. Il serait irresponsable de favoriser une spirale régressive, destructive d'emplois, favorisant l'illettrisme, obligeant à la fermeture de titres, restreignant l'investissement et la force des pays émergents.
Pour éviter tout retour en arrière, et pour développer la lecture, ne taxons pas les lecteurs.
La Commission européenne doit donc proposer formellement l'extension d'un taux réduit ou réviser l'annexe H, en donnant aux gouvernements la flexibilité nécessaire sur la base d'un critère bien défini – la bonne qualification du service et non pas le mode de diffusion. La Commission a toujours été prête à faire preuve de flexibilité s'il n'existe pas de concurrence déloyale sur le marché intérieur – ce qui sera le cas si les prochaines discussions sur la proposition de la Commission, prévoyant que le lieu de taxation des services B2C et B2B fournis par voie électronique, aboutissent enfin. La France doit savoir profiter de cette prochaine discussion pour faire triompher sa position favorable à la presse en ligne au cours de l'année 2007.
1er juillet 2007 - Légipresse N°243
2001 mots
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