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Tribune


01/11/2008


L'éthique de la presse, meilleure garantie de sa liberté selon la Cour européenne



 

Dans un monde dans lequel l'individu est confronté à un immense flux d'informations, circulant sur des supports traditionnels et électroniques, et impliquant un nombre d'acteurs toujours croissant, le respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue ».
Cette appréciation qu'on découvre au détour de l'arrêt Stoll c/Suisse rendu par la Cour européenne le 10 décembre 2007 mérite d'être signalée. Reconnaissons à la Cour européenne qu'elle est souvent en avance sur l'évolution des droits nationaux. Elle dit elle-même que les articles de la Convention européenne sont des « instruments vivants » qu'il faut « interpréter à la lumière des conditions de vie actuelle » (1).
La Cour européenne a en effet toujours été soucieuse de proclamer des principes visant à influer sur les législations et jurisprudences nationales des différents pays, membres du Conseil de l'Europe, au regard de ce qu'elle considère comme les standards démocratiques d'une presse libre. Elle a ainsi énoncé que la liberté de la presse est une des conditions primordiales du progrès et de l'épanouissement d'une société démocratique, qu'elle vaut non seulement pour les idées et informations reçues avec bienveillance ou considérées comme inoffensives, mais également pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent (2). Elle est l'auteur du principe selon lequel la liberté de la presse fournit aux citoyens l'un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes de leurs dirigeants en permettant à chacun de participer au libre jeu du débat démocratique qui se trouve au coeur même de la notion de société démocratique (3).
Au regard de la technique journalistique, la Cour considère qu'il faut laisser à la presse la liberté de son compte rendu. Il « n'appartient pas à la Cour ni aux juridictions nationales de se substituer à la presse pour dire quelle technique de compte rendu le journaliste doit emprunter » (4). Elle ajoute même que sanctionner un journaliste pour avoir aidé à la diffusion de déclarations émanant d'un tiers dans un entretien entraverait gravement la contribution de la presse aux discussions de problèmes d'intérêt général (5). On lui doit surtout la formule célèbre qui fait de la presse « le chien de garde de la démocratie ».
À ce titre, elle reconnaît à la presse le droit de faire état des affaires judiciaires en cours: « Les comptes rendus de procédure judiciaire y compris des commentaires contribuent à les faire connaître et sont donc parfaitement compatibles avec l'exigence de publicité » (6) Et l'ensemble de ce corpus jusrisprudentiel, articulé le plus souvent autour du critère de «nécessité» des restrictions alléguées, témoigne d'un grand libéralisme, la Cour ayant toujours souhaité libérer la presse des carcans de certaines législations nationales. Mais dans les différents motifs de ces arrêts, la Cour rappelait toujours que la presse a « des devoirs et responsabilités ».
Si elle admet que le commentaire et la critique doivent être particulièrement libres, dès lors que le sujet est d'intérêt général, elle a toujours été soucieuse, s'agissant du statut de l'information, que celle-ci soit apportée de bonne foi, gage de sa fiabilité: « Les professionnels des médias sont tenus d'agir de bonne foi, de diffuser des informations fiables et précises, fondées sur des faits exacts ainsi que de respecter les impératifs de leur déontologie » (7). Cette affirmation n'avait, jusqu'à ces dernières années, aucune autre incidence que celle d'un rappel, voir d'un avertissement.
Elle est aujourd'hui clairement énoncée dans les derniers arrêts de la Cour européenne : « En raison des devoirs et responsabilités inhérents à l'exercice de la liberté d'expression, la garantie que l'article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d'intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique » (8).

Dans l'arrêt Stoll c/Suisse, il était reproché au quotidien Sontags Zeitung d'avoir publié des documents officiels secrets, extraits d'un rapport classé confidentiel de l'ambassadeur suisse aux États-Unis, qui concernait l'indemnisation des victimes de l'holocauste dont les avoirs étaient restés en déshérence sur des comptes bancaires suisses. Selon les termes de l'arrêt les documents en question avaient été transmis aux journalistes en violation du secret professionnel, ce que le Conseil suisse de la Presse – sorte d'organisme de droit privé professionnel donnant des avis en matière déontologique – a considéré comme fautif dès lors que cette publication était tronquée et avait été publiée moins pour informer que pour « rechercher le scandale » et le « sensationnalisme (…), les allégations publiées étant imprécises et susceptibles d'induire les lecteurs en erreur ». La Cour n'accorde pas le bénéfice de l'article 10 au journaliste.
Dans une affaire encore plus récente concernant la Moldavie (9) et alors que le sujet portait sur les détournements de fonds publics et de corruption, la Cour a jugé que la condamnation du journaliste n'encourait pas les griefs de violation de l'article 10 dès lors que le journal ne justifiait pas avoir donné aux personnes mises en cause la possibilité de contester les accusations publiées. Ce principe traditionnel de la jurisprudence française en matière d'examen de la bonne foi du diffamateur est ainsi à son tour expressément repris par la Cour européenne.
La Cour avait déjà annoncé la couleur à propos de la presse people, en déniant, dans l'arrêt Von Hannover c/Allemagne du 24 juin 2004 que les journaux qui se proposent de « satisfaire la curiosité d'un certain public sur les détails de la vie privée » ne sauraient profiter des mêmes protections que la presse d'information.
Certains auteurs voient dans cette évolution de la jurisprudence de la Cour européenne un revirement au regard de son libéralisme traditionnel (10). On y trouve surtout le souhait de l'instance suprême de voir s'affirmer une responsabilité sociale des médias, une invitation à se distinguer dans le flux des informations de toutes natures qui sont colportées et diffusées sur de multiples nouveaux supports! Il y a peut-être même une invitation implicite de sa part à l'autorégulation.
La référence à la norme déontologique qui contribuerait à la qualité de la presse n'est, cela étant, pas une nouveauté de la part de la Cour de Strasbourg. Elle a souvent conclu à la violation de l'article 10, parce que « précisément, le journaliste au coeur du litige a respecté sa déontologie. Un tel respect permet à la Cour (…) de souligner à quel point une presse de qualité est essentielle » (11). A l'inverse lorsqu'elle constate que les « règles et devoirs » qui pèsent sur les professionnels des medias ne sont pas respectés, elle tend à justifier les restrictions et sanctions imposées par les États à l'exercice de la liberté d'expression. C'est dire si la règle éthique visant à instaurer un journalisme responsable, est bien, pour la Cour, une norme de droit positif.
À l'heure où la presse tient ses “États Généraux”, l'éclairage de la jurisprudence, si précieuse, de la Cour européenne, tirée de l'application de l'article 10 de la CEDH, – « instrument vivant » – mérite attention. L'article 10 de la CEDH protège la liberté de la presse. Il a, partant, d'abord vocation à protéger la presse elle-même, en ce qu'elle a de spécifique et de fondamental dans un État démocratique: apporter aux citoyens des informations fiables et vérifiées.
1er novembre 2008 - Légipresse N°256
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