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01/02/2012


« Streaming : la situation de l'internaute final est moins claire aujourd'hui qu'avant la loi du 20 décembre 2011 »



La fermeture de Megaupload et l'assignation en cours contre la galaxie Allostreaming nous donnent l'occasion de faire un point, avec Christophe Alleaume, sur la façon dont le droit français appréhende le streaming, les réflexions en cours menées par l'Hadopi, les pouvoirs du juge à l'égard des sites illicites…

 

Comment est appréhendé le streaming par le droit français ? Comme toute technique, le streaming est juridiquement neutre. C'est pourquoi il n'est pas spécifiquement visé par les lois Hadopi. Cela étant le streaming non autorisé d'oeuvres de l'esprit peut être sanctionné.
Ainsi, trois personnes sont susceptibles d'être poursuivies (même si on peut toujours envisager des schémas plus complexes) : l'internaute qui a posté une oeuvre, la plate-forme intermédiaire d'hébergement qui la met à disposition, et l'internaute final qui va en prendre connaissance. L'internaute qui a posté une oeuvre peut être poursuivi classiquement sur le fondement des règles de la contrefaçon, puisqu'il diffuse sans autorisation l'oeuvre d'un autre. Le plus difficile est de le retrouver, car il est courant qu'il utilise des avatars, qu'il soit à l'étranger… La plate-forme d'hébergement n'est-elle pas protégée par le principe de responsabilité “allégée” ? Le principe de responsabilité allégée existe au sein de la directive 2000/31 sur le commerce électronique. Mais la directive 2001/29 sur le droit d'auteur, transposée par la loi Hadopi 1 à l'article L. 336-2 du Cpi, permet au juge de « prendre toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin ». Les plateformes peuvent donc se voir enjoindre par le juge de retirer les contenus illicites. Cela ne remet pas en cause leur responsabilité allégée puisque le juge ne pourra pas leur imposer d'obligations générales de surveillance (c'est l'interprétation donnée par l'arrêt Sabam de la Cjue). Dans le cas d'une violation d'un droit d'auteur, on ne demande pas à la plateforme poursuivie d'opérer un filtrage des oeuvres pour l'avenir ou “de faire la police” ! On lui notifie les oeuvres qu'elle doit retirer : c'est le « notice and take down ». Grâce au système de « finger printing » (empreintes numériques) la plateforme a également la possibilité technique d'éviter que les oeuvres préalablement retirées ne réapparaissent : c'est le « notice and stay down ». Pour que ce système soit plus efficace, les sociétés d'auteurs devraient cependant transmettre plus facilement les informations, afin que les plateformes puissent suivre les oeuvres. On note un peu de rétention d'information de la part de certaines sociétés d'auteur en la matière, car cela coûte très cher à mettre en place, et certaines souhaiteraient que les plateformes participent aux coûts.
Et contre les sites miroirs ? Il semble qu'il soit possible d'agir contre les sites miroirs dès l'action contre le site « princeps ».
Dans le cadre de l'action en cours contre la galaxie Allostreaming, l'Association des producteurs de cinéma, le Syndicat de l'édition vidéo numérique et la Fédération nationale des distributeurs de films demandent un blocage des sites et le suivi de ce blocage afin d'éviter les sites miroirs. Le juge peut l'imposer. Le seul inconvénient de ces mesures est celui de leur coût : qui les prend en charge ? Un auteur ou un éditeur seul trouvera la note salée car il aura l'impression de devoir payer pour faire valoir ses droits… On pourrait envisager la création d'une instance de règlement des différends en ligne, un peu comme cela fut le cas en matière de noms de domaine, où la procédure est peu onéreuse. Je pense qu'il y a une piste à creuser de ce côté-là.
Et qu'en est-il alors de l'internaute final ? A priori l'internaute final est dans son cercle de famille. S'il conserve une copie de l'oeuvre (« direct download ») celle-ci est réalisée pour son usage privé. Il ne met rien à la disposition des autres. Il devrait donc pouvoir bénéficier des exceptions au droit d'auteur. Sauf que la loi du 20 décembre 2011 impose désormais, pour se prévaloir de l'exception de copie privée, de démontrer la licéité de la « source » de la copie. D'où une question : si la copie de l'oeuvre (celle réalisée en amont qui a permis de prendre connaissance de l'oeuvre) n'est pas licite, l'internaute final ne doit plus pouvoir se prévaloir de l'exception de copie privée.
Peut-il alors invoquer l'exception de représentation gratuite d'une oeuvre dans le cadre du cercle de famille (art. L. 122-5, 1° du Cpi) ? A priori oui puisque la loi n'exige pas de source licite pour les actes de représentation, ce à quoi s'assimile un streaming simple (sans téléchargement autre que temporaire).
Mais, ce faisant, la loi ne crée-t-elle pas un peu la confusion ? En effet elle est susceptible de diverses interprétations : puisque le législateur a introduit l'exigence de la licéité de la source à l'article L. 122-5 2°, on peut en déduire qu'il n'y a pas besoin de source licite dans les autres cas… Mais on peut également parfaitement soutenir que la licéité est une exigence de bon sens, proche de la bonne foi, qui vaut pour toutes les exceptions et que si elle a été mentionnée à l'article L. 122-5 2°, c'est parce

que le Parlement débattait uniquement de copie privée… Donc, la situation de l'internaute final, au regard du streaming, est moins claire aujourd'hui qu'avant la loi du 20 décembre 2011.
Avant la loi nouvelle, les propos tenus par les participants aux réunions publiques des Labs Hadopi étaient plutôt consensuels : « Il faut laisser l'internaute final tranquille ». Mais aujourd'hui, il n'est pas à exclure que certains intérêts contestent le bénéfice de l'exception à toute personne prenant connaissance d'une oeuvre à l'issue d'une chaîne dont un seul maillon serait illicite… Il y a par ailleurs un problème d'acceptation sociale : les internautes ont le sentiment d'être les “boucs émissaires” des lois Hadopi, qui sont mal perçues à ce titre. Ils ont le sentiment qu'il y a “plus responsable” ou “autant responsable” qu'eux ; pourtant ils sont au coeur de la réponse graduée.
Pouvez-vous justement nous en dire un peu plus sur l'expertise en cours, menée par l'Hadopi, sur le streaming ? À l'Hadopi, il y a deux cellules qui conduisent une réflexion sur ce sujet. D'une part, les labs, qui fonctionnent de façon totalement ouverte et collaborative : quiconque souhaite participer aux réunions publiques peut s'y inscrire. Il est intéressant d'avoir un tel lieu de réflexion et d'information, où un représentant de la Sacem et un représentant du Parti Pirate travaillent ensemble ! Les labs ont mené plusieurs séances de travail sur le streaming mais également sur d'autres sujets (livre numérique, photographie…).
Le fruit de la réflexion en cours sur le streaming sera livré en plusieurs étapes à compter de début mars 2012.
D'autre part, Marie-Françoise Marais, présidente de l'Hadopi, a commandé un rapport plus officiel à Mireille Imbert Quaretta, présidente de la Commission de protection des droits (Cpd). Les premières conclusions de ce dernier rapport seront également livrées dès mars 2012. Labs et Cpd travaillent parallèlement et aucune piste à ce jour n'est écartée.
Quelles sont ces pistes ? Sans doute la responsabilisation de l'internaute final n'est-elle pas la priorité. Beaucoup de solutions existent et il faudra les combiner, comme la possibilité de demander le blocage des comptes bancaires, la coopération des intermédiaires de paiement (Paypal, Mastercard, Visa…). Un site russe de téléchargement illégal de musique a pu être asséché financièrement grâce au concours des intermédiaires de paiement. Si cet engagement s'inscrivait à l'époque dans le cadre d'un accord politique entre Etats, le même type de mesures doit pouvoir être prononcé par le juge à titre conservatoire. De même nous réfléchissons au devoir de coopération des régies publicitaires : ne peut-on pas exiger d'elles qu'elles exploitent les espaces publicitaires de préférence sur des sites licites ? Le déréférencement semble également très efficace : on a d'ailleurs vu que, dans le cadre de la procédure en cours contre Allostreaming, Google s'est exécuté. Il est donc possible de changer l'algorithme d'un moteur de recherche sans l'empêcher de remplir son rôle. De même, il est possible de demander de retirer une fois pour toutes certaines oeuvres (notice and stay down). Enfin, des messages d'avertissement et de sensibilisation pourraient être utiles – sans oublier bien sûr le développement de l'offre légale ! Quel est selon vous le principal frein au développement de l'offre légale en France, qui, de fait, est aujourd'hui très pauvre en matière vidéo ? Il ne faut pas croire que les internautes violent la loi par plaisir. Le jour où l'offre légale sera conforme à leurs désirs, les sites illégaux disparaîtront. En matière musicale, l'offre est déjà satisfaisante. En matière audiovisuelle, 35 000 oeuvres sont à ce jour disponibles légalement. Le marché est donc naissant. Si beaucoup de sites sont labellisés par l'Hadopi (Pur), des sites illégaux restent mieux référencés par les moteurs de recherche : vous observerez que quand vous tapez le titre d'un film sur un moteur de recherche, il vous renvoie plus facilement vers des sites illégaux ! En outre, l'offre légale vidéo se heurte vraisemblablement au problème de la chronologie des médias. Cela pose la question du modèle économique du financement des films, qu'il faudrait alors revoir… Des professionnels réfléchissent néanmoins à faire évoluer la chronologie des médias, de façon à, par exemple, permettre de télécharger les films très peu de temps après leur sortie en salle, mais seulement tel jour de la semaine. Toutefois, il n'y a pas, à ma connaissance, de consensus sur le sujet.
La décision de la justice américaine, qui, dès le stade de l'enquête, a pu notamment procéder à la saisie des serveurs, le blocage des noms de domaine, est pour le moins radicale et exemplaire. Un juge français pourrait-il prendre de telles mesures ? Le juge français peut prendre « toute mesure » dès lors qu'elle n'aboutit pas à une surveillance générale des réseaux et qu'elle ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux des internautes – notamment la liberté de recevoir et de communiquer des informations, visée par le Conseil constitutionnel à propos des lois Hadopi. Le blocage total d'un site se comprend lorsque la totalité des informations qu'il héberge sont illégales. Mais même dans le cas de Mégaupload, on a vu que certaines données hébergées étaient licites, et les intéressés ont aujourd'hui du mal à les récupérer… En outre, la comparaison avec l'affaire Mégaupload a ses limites puisqu'elle ne pose pas qu'un problème de droit d'auteur. On parle de criminalité organisée, de blanchiment d'argent : la violation des droits d'auteur n'est qu'un des fondements des poursuites contre les responsables du site. Or, en matière de délinquance financière, on comprend que le Fbi puisse faire des choses qu'il ne pourrait pas forcément faire en matière de droits d'auteur. Ceci étant, cette affaire montre que si l'on veut y arriver, il est possible de faire disparaître totalement un site du jour au lendemain, d'identifier les créateurs, de les arrêter à l'autre bout du monde, de saisir leurs actifs dans la nuit, etc. Les actions concertées permettent d'aboutir à des résultats ! Mais on ne souhaite pas non plus un tel black-out en France.
Où placer le curseur entre les défenseurs d'un modèle de régulation et les partisans d'un internet “libre” ? La liberté sur internet doit se faire dans le respect du droit de propriété des autres. C'est d'ailleurs ce qui se passe dans le monde physique ! Pour moi, l'équilibre réside dans les exceptions aux droits d'auteur. Peut-être que certaines sont à réécrire ?... Une réflexion est actuellement menée sur cette question à l'Hadopi.
Propos recueillis par Amélie Blocman
1er février 2012 - Légipresse N°291
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