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Tribune


01/09/2012


La loi Pleven a quarante ans !



 

La loi du 1er juillet 1972, visant à lutter contre le racisme, dite loi Pleven – du nom du garde des Sceaux du gouvernement Chaban Delmas qui l'avait alors portée devant le Parlement, lequel l'avait votée à l'unanimité ! – a donc fêté ses quarante ans.
Quarante ans c'est la force de l'âge. Celui qui y arrive est accompli, mais considère que la vie est encore devant lui pour réaliser ses projets et ses rêves… La Licra a consacré ses Universités d'été (1) à cet anniversaire.
Elle proposait, autour de quatre tables rondes (2) de dresser le bilan et de s'interroger sur les perspectives de la loi.
À la différence de la législation précédente, née du décret-loi Marchandeau du 21 avril 1939, qui posait le délit d'excitation à la haine raciale, le législateur de 1972 a fait le choix d'incorporer – ce qui était naturel – les dispositions visant à encadrer des discours racistes dans la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Ce faisant, il adoptait le régime particulier de cette loi libérale, notamment son régime procédural très protecteur.
La prescription trimestrielle a toutefois été revue en 2004 pour être portée à un an, obéissant désormais à un régime spécial. Lequel se déduit aussi de la réforme de la loi Guigou du 15 juin 2000, abrogeant les peines de prison, sauf pour les délits racistes, et avant elle, celle de la loi Gayssot du 13 juillet 1990, instituant un régime particulier à la récidive en la matière.
La loi Pleven a surtout posé le droit d'intervention des associations ayant pour objet principal de lutter contre le racisme et existant depuis cinq ans, comme partie poursuivante. Il s'agit d'une forme de délégation, voire de privatisation, de l'action publique pour permettre une meilleure vigilance, et qui est, depuis quarante ans, à l'origine d'un contentieux important. Ce régime spécial témoigne de la volonté du législateur de poser, tant sur le terrain de la poursuite que celui de la peine, un régime plus répressif, puisqu'il s'agit, de son point de vue, des délits les plus graves que pose la loi sur la presse.
Mais la loi de 1972, telle qu'elle est appliquée depuis quarante ans, remplit-elle son office ? Est-elle adaptée aux nouvelles formes d'expressions racistes ? Pour répondre à ces questions, la réflexion peut s'organiser autour des trois écueils que rencontrent principalement les juges dans l'application de la loi Pleven. Il s'agit, tout d'abord, du caractère arbitraire des rattachements qu'a posé la loi de 1972 pour être fondé à agir quant aux critères d'appartenance ou de non-appartenance aux différentes communautés protégées (A). Il s'agit ensuite des incertitudes, voire du relativisme de l'appréciation judiciaire, concernant la notion de « provocation » (B) et, enfin, des difficultés d'appréciation de l'intention coupable en la matière, à l'aune en particulier de la jurisprudence de la Cour Edh (C).
A. LES CRITÈRES DE RATTACHEMENT AUX COMMUNAUTÉS PROTÉGÉES La formule vaut pour les trois délits posés par la loi de 1881 que sont l'injure, la diffamation et la provocation racistes. Il faut la mise en cause : « d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine, ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Sauf si on lui excipe d'une difficulté quant à l'inexistence d'un de ces critères de rattachement, le juge ne s'estime pas tenu de le préciser (3). Par contre, en cas de contestation, il doit dire lequel est concerné par l'espèce qui lui est soumise.
Si la nationalité (laquelle exclut les revendications régionales ou provinciales qui ne sont pas considérées comme des nationalités) et la religion ne posent pas de difficulté (4), les autres critères sont plus contestables quant à leur mise en oeuvre. L'« ethnie », que l'on peut définir comme toute société humaine homogène quant à ses origines, sa langue et sa culture, est identifiée précisément dans certaines contrées du monde, mais est trop imprécise dans d'autres (les Harkis ?). Elle est rarement invoquée en pratique.
C'est surtout le rattachement à la « race » qui est le plus contestable puisqu'il n'y a qu'une seule et unique race humaine. Le législateur en 1972 ne l'ignorait déjà pas. Mais il a considéré qu'ainsi posé, ce critère permettrait de débusquer les racistes dont précisément l'idéologie repose sur le fait qu'il y aurait plusieurs races humaines et une hiérarchie entre elles. De fait, le critère de « l'appartenance à une race » permet au juge de retenir les discours racistes incriminant la couleur de peau des individus.

Ne serait-il pas aujourd'hui utile d'affiner, pour les rendre moins arbitraires, les cas de rattachement posés par la loi ? N'y-a-t-il pas une réflexion à entreprendre sur le critère, qui existe déjà, de l'« origine », mais que le juge n'applique pas tout seul, en raison de sa trop grande imprécision ? B. LES CONTOURS INCERTAINS DE LA NOTION DE « PROVOCATION » La provocation à la haine ou la discrimination ou la violence raciale, qui ouvre le droit au procès des associations, posé à l'article 24 alinéa 8 de la loi de 1881, laisse souvent le juge dans une situation inconfortable. S'il constate souvent un discours ouvertement raciste qui lui paraît délictuel, il doit en effet interpréter la loi strictement. Il doit démontrer que le propos est provocateur, c'est-à-dire qu'il emporte à l'égard du public une incitation non seulement à partager le discours, mais en quelque sorte à passer à l'acte, lequel consiste à être violent, discriminer, ou éprouver de la haine.
Certaines décisions rappellent ainsi qu'il faut une véritable « exhortation » (5), d'autres qu'il suffit de faire naître un « sentiment de rejet » (6). Doit-on se contenter de la seule recherche ostensible de la réaction raciste, ou poursuivre la recherche insidieuse d'une telle réaction ? Le risque n'est-il pas d'amener les juges à faire des procès d'intention selon les personnes poursuivies, ce qui serait difficilement concevable ? Il est certain qu'interprétée strictement, l'exigence légale de « provocation » laisse donc un espace à l'expression du discours raciste dès lors qu'il n'est pas incitatif.
C. L'EXAMEN DE L'INTENTION COUPABLE On le sait, en la matière, l'intention coupable se déduit des termes des propos, nul n'étant censé ignorer le sens et la portée des mots et images qu'il emploie. Il reste qu'on peut prendre l'initiative et la responsabilité de diffuser des propos racistes pour précisément les dénoncer. Le diffuseur ne saurait alors voir sa responsabilité recherchée, puisque le plus souvent il ne poursuit que le but de lutter contre le racisme ! C'est le sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui a dit depuis son premier arrêt Handyside de 1976 que la liberté d'expression « vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives, ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de société démocratique ». Elle l'a redit précisément à l'occasion de diffusion de propos racistes en l'occurrence tenus par des skinheads à la télévision danoise dans son arrêt Jersyld du 23 septembre 1994 (7) dans lequel elle a condamné le Danemark pour avoir sanctionné la chaîne, et ce, au motif que « sanctionner un journaliste pour avoir aidé à la diffusion de déclarations émanant d'un tiers, dans un entretien, entravait gravement la contribution de la presse aux discussions de problèmes d'intérêt général », discussions parmi lesquelles figure sans conteste le problème du racisme.
Il en est de même en matière d'humour où des licences traditionnelles sont accordées par les tribunaux à celui qui ne recherche qu'à faire rire et dont le message n'est pas pris au sérieux (8).
La difficulté du juge consiste alors à se mettre à la place du public, pour s'assurer que la dénonciation est reçue comme telle. Il punit le discours équivoque, celui qui se veut drôle, mais qui n'amuse pas les communautés visées. Il n'est pas plus indulgent avec la maladresse, se bornant à examiner non pas l'effet recherché, mais l'effet effectivement produit. Ainsi dans l'affaire Sébastien qui, grimé en Jean-Marie Le Pen, et parodiant une chanson de Patrick Bruel, chantait « casser du noir ». Les juges avaient dit que « L'effet recherché est manqué : la caricature apparaît insuffisante, la frontière entre le premier et le second degré n'étant pas marqué avec une clarté évidente ; le public composé à cette heure d'écoute de téléspectateurs au profil varié, notamment d'adolescents, ne comprend pas de manière certaine qu'il est invité à se moquer des racistes et à railler et rejeter leur comportement » (9).
En d'autres termes, la loi interdit d'être ambigu, car comme le soutient le Professeur Dreyer « l'ambigüité est déjà un délit. Elle est trop souvent le refuge d'un racisme perfide qui se nourrit de bons sentiments » (10).
1er septembre 2012 - Légipresse N°297
1713 mots
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