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Tribune


01/04/2014


L'étrange consultation de la Commission européenne sur le droit d'auteur oublie les intermédiaires



Sophie MARTIN-VALENTE
Directeur juridique de l'ADAMI
 

La Commission européenne a publié au mois de novembre une consultation dont l'objectif est d'apprécier l'opportunité de réviser la directive de 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information.
Cette consultation est étrange à plus d'un titre.
Bien que traitant de questions déterminantes pour les secteurs culturels, seule une version anglaise a été rendue disponible, ce qui témoigne du peu d'intérêt que la Commission porte à la diversité culturelle. Le questionnaire revient longuement sur des aspects déjà évoqués au cours des années écoulées, comme la création d'un droit d'auteur européen, suggestion qui n'a jamais suscité un grand enthousiasme et dont l'utilité est plus que contestable en l'état. On ne comprend d'ailleurs pas quelle simplification pourrait en résulter. Un tel corps de règles unique nécessiterait en effet une interprétation des juridictions nationales à la lumière, éventuellement, de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ce qui est à peu de chose près la situation actuelle.
Le but de la consultation semble aussi démontrer que le droit d'auteur constituerait une entrave à la libre circulation des oeuvres sur le marché européen. C'est en tout cas ce que l'on déduit de certaines questions. Cette mise en cause néglige complètement le fait que la territorialisation des services – singulièrement dans le secteur de l'audiovisuel – résulte de la nécessité de s'adapter à des publics différents, pour l'essentiel segmentés par bassins linguistiques et traditions culturelles et non de la mise en oeuvre du droit d'auteur.
La place consacrée aux exceptions dans la consultation est également surprenante. La directive de 2001 avait fixé une liste exhaustive et limitative qui couvrait à peu près tous les cas connus dans les États membres. La nécessité d'étendre cette liste peut difficilement apparaître comme une priorité.
Elle le peut d'autant moins que l'impact des exceptions sur la circulation des oeuvres dans le marché unique est marginal, voire inexistant. Pourquoi dans ces conditions insinuer qu'il y aurait urgence à rouvrir un débat sur ce sujet alors que tant d'autres apparaissent nettement plus importants, comme la lutte contre la contrefaçon en ligne et la contribution que les intermédiaires techniques pourraient y apporter ? À cet égard il est regrettable que la Commission laisse de côté dans sa consultation la directive de 2000 sur le commerce électronique et plus largement le statut des intermédiaires “techniques” ou des acteurs que l'on tend, parfois à tort, à ranger dans cette catégorie. La directive de 2001 sur le droit d'auteur et celle de 2000 sur le commerce électronique sont contemporaines et s'appuient sur la même analyse du fonctionnement des réseaux.
Si l'une devait être revue, on comprend mal que l'autre puisse rester en l'état. Ces deux textes ont d'ailleurs un point de jonction, l'article 8.3 de la directive de 2001. Cet article permet aux titulaires de droits de demander une ordonnance à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin. Cette disposition a été traduite en droit français par l'article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui prévoit que le juge peut ordonner toute mesure propre à prévenir ou à faire cesser une atteinte au droit d'auteur ou aux droits voisins.
C'est au fondement de cet article que le tribunal de grande instance de Paris a rendu le 28 novembre 2013 une décision intéressante, au moins sur le principe, dans la mesure où elle répond à différentes objections soulevées par les Fai et les moteurs de recherche visés par la demande quant aux mesures qu'ils devraient prendre pour rendre les sites concernés inaccessibles sur le territoire français. Le Tgi de Paris a rappelé que le Cpi n'imposait aucun préalable à l'action en cessation contre les fournisseurs d'accès, ni contre les sites dont le filtrage est demandé, ni contre les hébergeurs de ces sites. La décision retient également que si tous les intermédiaires techniques ne sont pas mis dans la cause, le fait que les principaux Fai et moteurs de recherche disponibles en France soient concernés confère aux mesures demandées une efficacité suffisante. Elle souligne que l'impossibilité d'assurer une complète et parfaite exécution des décisions de filtrage, y compris au regard de la possibilité éventuelle de contournement par les internautes, ne doit pas entraîner pour autant une méconnaissance du droit d'auteur et des droits voisins par le juge. Il est confirmé que le filtrage des sites illégaux n'est pas contraire au principe de la liberté d'expression, ni au principe de la liberté d'entreprendre puisque les mesures sollicitées ne concernent que des sites illicites et ne sont donc susceptibles d'affecter l'activité

des intermédiaires techniques qu'à la marge. Enfin, les mesures de filtrage ne sont pas contraires au principe de proportionnalité au double motif que la part des oeuvres susceptibles d'être licitement mises à disposition sur les sites illégaux concernés est très faible et que ces mesures n'interdisent pas aux internautes d'avoir accès aux oeuvres audiovisuelles par d'autres moyens (c'est-à-dire des moyens légaux).
Il y a lieu de se féliciter que cette décision fasse une application très réaliste des dispositions de l'article L. 336-2 du Cpi en s'attachant essentiellement à assurer leur efficacité, sans entrer dans un débat, qui serait à la fois paralysant et artificiel, sur l'impossibilité d'assurer un filtrage absolu sans contournement possible. On relève malgré tout que, faute de dispositions spécifiques sur la question du coût des mesures décidées, le juge le met à la charge des titulaires de droits, ce qui n'est pas sans conséquence sur la pérennité de telles actions. La décision sur ce point ne peut que laisser dubitatif dès lors que le fournisseur est débiteur de l'obligation de “filtrage” et dispose au surplus du choix quant aux mesures à prendre. Serait-il choquant dans ces conditions qu'il en assume le coût en tout ou en partie ? Postérieurement à ce jugement, la Cjue a apporté un certain nombre de précisions sur la portée de l'article 8.3 de la directive de 20011. Elle rappelle qu'un fournisseur d'accès est visé par l'article 8.3 quand bien même il n'aurait pas de lien contractuel avec la personne qui met à disposition sans autorisation des oeuvres ou des objets protégés et que la démonstration de la consultation effective de ces oeuvres ou objets n'est pas la condition préalable d'une injonction. Quoique ces précisions ne soient guère étonnantes, elles sont néanmoins les bienvenues. Ainsi que l'explique la Cour, toute autre interprétation de l'article 8.3 réduirait la protection des titulaires de droits alors que l'objectif affiché de la directive est d'assurer un haut niveau de protection du droit d'auteur. Elle estime que les mesures prises doivent avoir pour effet d'empêcher ou au moins de rendre difficile les consultations non autorisées ou de les décourager « sérieusement ». Bref il ne s'agit pas de mettre un terme absolu à toute forme de contrefaçon mais d'en limiter de façon significative l'impact. Comme dans la décision du Tgi de Paris, c'est ici le réalisme qui l'emporte. En revanche, on peut avoir un doute sur la question du financement des mesures de filtrage. La question n'était pas directement posée à la Cour mais la décision, comme les conclusions de l'avocat général, évoquent le coût qu'impliquent les mesures de filtrage pour le fournisseur d'accès, ce qui peut suggérer qu'il ne peut être exclu que ceux-ci demeurent à sa charge.
Quoi qu'il en soit il n'est sans doute ni opportun, ni conforme à la réalité, d'opposer de façon absolue les titulaires de droits aux fournisseurs d'accès au sujet de la lutte contre la contrefaçon.
Ces derniers sont en effet également distributeurs ou éditeurs d'offres légales et leur intérêt est de contribuer à faire respecter le droit d'auteur. Le droit européen devrait davantage encourager les coopérations dans ce domaine.
Le statut des intermédiaires ne soulève pas uniquement de questions en ce qui concerne les procédures de filtrage. La consultation de la Commission suggère la possible introduction d'une exception au bénéfice de la mise à disposition d'oeuvres par les internautes sur les réseaux sociaux ou communautaires (User generated content – Ugc). Outre qu'une telle exception, du fait de l'ampleur des mises à disposition, se heurterait très probablement au test en trois étapes, peut-on raisonnablement cumuler une telle exception avec le statut d'hébergeur ? La jurisprudence tend à assimiler les sites dits communautaires aux hébergeurs, au moins dans la mesure où ceux-ci constituent le canal de la communication au public d'oeuvres protégées à l'initiative des internautes.
Cette assimilation apparaît pour le moins discutable. Lors de l'adoption de la directive de 2000 sur le commerce électronique, ce type d'activité n'existait pas et il est loin d'être évident qu'un opérateur puisse bénéficier d'un tel régime lorsque sa prestation n'est pas purement technique mais sert au contraire à valoriser sa marque et son rôle de diffuseur aux yeux du public. C'est d'autant plus vrai que la jurisprudence récente a pour effet de compliquer la lutte contre les activités illicites en exigeant des titulaires de droits une notification à chaque nouvelle mise à disposition2.
Le récent arrêt de la Cjue sur les liens3 n'est pas plus rassurant pour le respect de la propriété intellectuelle. Si la Cour qualifie bien l'établissement d'un lien d'acte de communication au public, elle estime qu'un tel acte ne serait pas couvert par le droit d'auteur faute de la mise à disposition à un public nouveau. Le public d'internet serait donc un seul et même public, ce qui en soi est un présupposé discutable quand la communication par le lien implique, par construction, une tierce personne. L'appropriation du contenu par la personne établissant le lien semble ne pas devoir être un critère pertinent susceptible de modifier cette analyse, contrairement à l'approche qu'avait retenue la Cour de cassation. Le droit d'auteur ne pourrait être mis en oeuvre que dans le cas où la communication d'origine serait soumise à restriction ou si le lien permettait l'accès à une oeuvre ne se trouvant plus disponible sur son site d'origine. Mais il ne semble pas que l'on puisse déduire du raisonnement de la Cjue que la production de recettes (publicitaires par exemple) par le site établissant le lien aboutirait ipso facto à la création d'un public nouveau impliquant une autorisation préalable des titulaires de droits, même si cela semble pourtant logique. La Cjue n'a pas traité la question sous cet angle, faute sans doute d'en avoir été saisie. La décision du 13 février 2014 est donc loin de régler d'une manière satisfaisante et, surtout, complète, la question des liens et la réflexion sur le sujet reste à mener.
La Commission européenne est semble-t-il décidée à une refonte à terme de la directive de 2001 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information. Si tel est le cas, il ne reste qu'à souhaiter que, soucieuse d'assurer un « haut niveau de protection » au droit d'auteur, objectif proclamé il y a quinze ans, elle élargisse le débat au statut des intermédiaires. L'interdépendance entre les textes de la directive de 2000 sur le commerce électronique et celle de 2001 l'impose. À défaut, il faudrait chercher d'autres solutions pour assurer une protection et une rémunération adéquates des acteurs de la création.
1er avril 2014 - Légipresse N°315
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