La transposition de la directive (UE) 2024/1069 sur la protection des personnes qui participent au débat public offre au législateur une occasion de renforcer deux conditions matricielles de la démocratie – le débat public et le droit fondamental à l'information, notamment à travers l'introduction d'un mécanisme de « rejet rapide » des procédures-bâillons. La directive impose en effet aux États membres de prévoir dans leur droit national un mécanisme intervenant « au stade le plus précoce possible de la procédure » et permettant de rejeter les « demandes en justice altérant le débat public manifestement infondées ». La mise en œuvre de cette mesure phare implique des déclinaisons procédurales multiples mais décisives pour atteindre les objectifs de la directive. Elle soulève en outre la question de l'extension du champ d'application matériel de la directive au-delà de la seule matière civile et commerciale, pour inclure les procédures pénales qui sont aujourd'hui l'instrument privilégié des initiateurs de procédures-bâillons en France.
Le 11 avril 2024 a été adoptée la directive (UE) 2024/1069 sur la protection des personnes qui participent au débat public contre les demandes en justice manifestement infondées ou les procédures judiciaires abusives, communément appelées « procédures-bâillons » en français et SLAPP(1) en anglais. Cette directive doit être transposée en droit français avant le 7 mai 2026. Reporters Sans Frontières (RSF) a activement plaidé pour une telle directive, les ...
Benoît Huet
Avocat au Barreau de Paris
Antoine BERNARD
Enseignant et codirecteur scientifique du master sur les droits humains et ...
Nadia EL AMRANI
Responsable des affaires juridiques, RSF
14 mai 2025 - Légipresse N°435
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(1) SLAPP est l'acronyme de Strategic Lawsuit Against Public Participation. V., L. Gay, Les procédures-bâillons : une menace démocratique ? L'état du droit, Légipresse 2023. 209 et ibid. 2023. 273 ; P. Delmas et T. Beau de Loménie, Procédures-bâillons : une transposition ambitieuse s'impose, Légipresse 2024. 345.
(2) Defence against frivolous and vexatious libel suits, Daphne Caruana Galizia Foundation, daphne.foundation.
(3) CNCDH, avis, 13 févr. 2025, Lutter contre les procédures-bâillons », § 13.
(4) Dir. (UE) 2024/1069 du Parlement européen et du Conseil du 11 avr. 2024, consid. n° 8.
(5) Règl. (UE) 2024/1083 du Parlement européen et du Conseil du 11 avr. 2024, art. 3 : « Droit des destinataires de services de médias. – Les États membres respectent le droit des destinataires de services de médias d'avoir accès à une pluralité de contenus médiatiques indépendants sur le plan éditorial et veillent à ce que des conditions-cadres soient en place, conformément au présent règlement, afin de préserver ce droit, dans l'intérêt d'un discours libre et démocratique ».
(6) S. Lavric, Procédure-bâillon visant un professeur de droit : atteinte à la liberté d'expression, Dalloz actualité, 4 oct. 2017.
(7) C. Enkaoua, Procédures-bâillons et avocats : un projet de directive qui fait débat, Dalloz actualité, 23 sept. 2022.
(8) Droit protégé par l’art. 10 Conv. EDH et l’art. 11 DDH.
(9) Selon les données recensées par le rapp. de déc. 2024 de la Coalition Against SLAPPs in Europe (CASE) entre 2010 et 2023. P. 17 ; CNCDH, avis, préc.
(10) La mise en œuvre d'une transposition ambitieuse de la dir., qui étende son champ d’application aux procédures ayant un caractère strictement national, correspond notamment aux préconisations du Comité des ministres aux États membres sur la lutte contre les procédures-bâillons (recomm. CM/Rec(2024)2 du 5 avr. 2024), de la CNCDH et des États généraux de l'information (rapport du 12 sept. 2024).
(11) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 11 : « Rejet rapide. – Les États membres veillent à ce que les juridictions puissent rejeter, à l'issue d'un examen approprié, les demandes en justice altérant le débat public comme étant manifestement infondées au stade le plus précoce possible de la procédure, conformément au droit national ».
(12) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 12 : « Charge de la preuve et justification des demandes en justice. – 1. La charge de la preuve quant au bien-fondé de la demande en justice incombe au requérant qui introduit l'action. / 2. Les États membres veillent à ce que, si le défendeur a demandé un rejet rapide, il incombe au requérant de motiver la demande en justice afin de permettre à la juridiction d'apprécier si celle-ci n'est pas manifestement infondée ».
(13) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 13 : « Recours. – Les États membres veillent à ce que la décision d'accorder un rejet rapide en vertu de l'article 11 soit susceptible de recours ».
(14) DDH, art. 16 et Conv. EDH, art. 6, § 1.
(15) Principe dit actori incumbit probatio consacré aux art. 9 et 1353 c. civ.
(16) Par ex., Cons. const. 12 janv. 2002, n° 2001-455 DC (à propos de l'inversion de la charge de la preuve en matière de harcèlement et de discrimination), AJDA 2002. 1163, étude F. Reneaud ; D. 2003. 1129, et les obs., obs. L. Gay ; ibid. 2002. 1439, chron. B. Mathieu ; Dr. soc. 2002. 244, note X. Prétot ; ibid. 258, note A. Lyon-Caen ; RSC 2002. 673, obs. V. Bück ; ibid. 674, obs. V. Bück.
(17) Par ex., TGI Paris, 6 mars 2019, n° 17/00663 et Paris, pôle 2 - 7e ch., 26 févr. 2020, n° 19/05620, Vivendi c/ M. Vescovacci ; Civ. 1re, 3 févr. 2011, n° 09-10.301, Clearstream Banking c/ D. Robert, Légipresse 2011. 139 et les obs. ; ibid. 226, comm. H. Leclerc ; D. 2011. 519, obs. S. Lavric ; ibid. 2012. 765, obs. E. Dreyer ; TJ Paris, 30 nov. 2022, n° 22/13852, Mediapart c/ G. Perdriau, Légipresse 2022. 661 et les obs. ; ibid. 2023. 29, étude G. Lécuyer ; RTD civ. 2023. 179, obs. P. Théry.
(18) Cons. prud’h. Boulogne-Billancourt, 22 févr. 2024, no 21/01388, Nulle Part Ailleurs Production c/ J.-B. Rivoire.
(19) T. com. Nanterre, réf., 6 oct. 2022, n° 2002R00834, Altice Group Luc SRAL c/ Rebuild SH, et Versailles, 19 janv. 2023, n° 22/06176, Légipresse 2023. 77 et les obs. ; ibid. 119, étude E. Tordjman, O. Lévy et S. Menzer ; ibid. 2024. 257, obs. N. Mallet-Poujol ; RTD civ. 2023. 179, obs. P. Théry.
(20) C. pr. civ., art. 71.
(21) Devant le TJ, le juge de la mise en état dispose d'une compétence exclusive pour statuer sur les exceptions de procédure et sur les fins de non-recevoir (C. pr. civ., art. 789).
(22) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 11.
(23) CNCDH, avis, préc., pts 46 et 47, et recomm. n° 10.
(24) Décr. n° 2023-686 du 29 juill. 2023.
(25) C. pr. civ., art. 807-1 à 807-3.
(26) C. pr. civ., art. 807-1.
(27) Loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016, art. 10-1.
(28) C. pr. civ., art. 74 et 123.
(29) C. pr. civ., art. 760.
(30) C. pr. civ., art. 853.
(31) C. pr. civ., art. 817.
(32) C. pr. civ., art. 378.
(33) C. pr. civ., art. 906 s.
(34) M. Barba et R. Laffly, « Simplification » de la procédure d'appel en matière civile. Épisode 2 : La procédure à bref délai, Dalloz actualité, 29 janv. 2024.
(35) Ibid.
(36) Résolution du Parlement européen du 11 nov. 2021, préc., § H (utilisation abusive d'actions au titre du droit civil et pénal pour réduire les journalistes, les ONG et la société civile au silence).
(37) CASE, Mapping Trends and Cases (Les poursuites-bâillons en Europe : cartographie des tendances et des cas), rapport, déc. 2024, p. 13 et 16.
(38) Résolution du Parlement européen du 11 nov. 2021, préc., § H.
(39) CNCDH, avis, préc., § 10.
(40) Loi du 29 juill. 1881, art. 29, al. 1er : « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés ».
(41) CNCDH, avis, préc., § 10 ; P. Delmas, Directive contre les procédures-bâillons : face aux limites du cadre européen, plaidoyer en faveur d'une transposition ambitieuse, Dalloz actualité, 27 mai 2024.
(42) Résolution du Parlement européen du 11 nov. 2021, préc., § 14 (utilisation abusive d'actions au titre du droit civil et pénal pour réduire les journalistes, les ONG et la société civile au silence).
(43) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 2 : « Champ d'application. – La présente directive s'applique aux questions de nature civile ou commerciale […] faisant l'objet d'une procédure civile, y compris les procédures en référé, les demandes de mesures conservatoires et les demandes reconventionnelles, quelle que soit la nature de la juridiction […]. La présente directive ne s'applique pas aux poursuites pénales ou à l'arbitrage et s'entend sans préjudice du droit de la procédure pénale ».
(44) TFUE, art. 81, § 2 : « Le Parlement européen et le Conseil […] adoptent, notamment lorsque cela est nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, des mesures visant à assurer : […] / f) l'élimination des obstacles au bon déroulement des procédures civiles, au besoin en favorisant la compatibilité des règles de procédure civile applicables dans les États membres ».
(45) Résolution du Parlement européen du 11 nov. 2021, préc.
(46) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 11.
(47) C. pr. pén., art. 86, al. 4 : « […] Le procureur de la République peut également prendre des réquisitions de non-lieu dans le cas où il est établi de façon manifeste, le cas échéant au vu des investigations qui ont pu être réalisées à la suite du dépôt de la plainte ou en application du troisième alinéa, que les faits dénoncés par la partie civile n'ont pas été commis […] »
(48) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 11.
(49) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 12, al. 2.
(50) DDH, art. 16 et Conv. EDH, art. 6, § 1.
(51) C. pr. pén., art. 86, al. 4 in fine : « Dans le cas où le juge d'instruction passe outre, il doit statuer par une ordonnance motivée ».
(52) C. pr. pén., art. 177, al. 1er : « Si le juge d'instruction estime que les faits ne constituent ni crime, ni délit, ni contravention, ou si l'auteur est resté inconnu, ou s'il n'existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen, il déclare, par une ordonnance, qu'il n'y a lieu à suivre ».
(53) C. pr. pén., art. 186, al. 2 : « La partie civile peut interjeter appel des ordonnances de non-informer, de non-lieu et des ordonnances faisant grief à ses intérêts civils […] ».
(54) C. pr. pén., art. 207, al. 2 : « Lorsque, en toute autre matière, la chambre de l'instruction infirme une ordonnance du juge d'instruction […], elle peut, soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 201, 202, 204 et 205, soit renvoyer le dossier au juge d'instruction ou à tel autre afin de poursuivre l'information. Elle peut également procéder à une évocation partielle du dossier en ne procédant qu'à certains actes avant de renvoyer le dossier au juge d'instruction ».
(55) C. pr. pén., art. 212, al. 1er : « Si la chambre de l'instruction estime que les faits ne constituent ni crime, ni délit, ni contravention ou si l'auteur est resté inconnu ou s'il n'existe pas de charges suffisantes contre la personne mise en examen, elle déclare qu'il n'y a lieu à suivre ».
(56) C. pr. pén., art. 175-1, al. 1er : « La personne mise en examen, le témoin assisté ou la partie civile peut, à l'expiration du délai qui lui a été indiqué en application du neuvième alinéa de l'article 116 ou du deuxième alinéa de l'article 89-1 à compter, respectivement, de la date de la mise en examen, de la première audition ou de la constitution de partie civile, demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues au dixième alinéa de l'article 81, de prononcer le renvoi ou la mise en accusation devant la juridiction de jugement ou de déclarer qu'il n'y a pas lieu à suivre, y compris en procédant, le cas échéant, à une disjonction. Cette demande peut également être formée lorsque aucun acte d'instruction n'a été accompli pendant un délai de quatre mois ».
(57) C. pr. pén., art. 175-1, al. 2 : « Dans le délai d'un mois à compter de la réception de cette demande [ou de ses réquisitions], le juge d'instruction y fait droit ou déclare, par ordonnance motivée, qu'il y a lieu à poursuivre l'information. Dans le premier cas, il procède selon les modalités prévues à la présente section […] ».
(58) C. pr. pén., art. 113-2, al. 1er : « Toute personne nommément visée par une plainte ou mise en cause par la victime peut être entendue comme témoin assisté. Lorsqu'elle comparaît devant le juge d'instruction, elle est obligatoirement entendue en cette qualité si elle en fait la demande ; si la personne est nommément visée par une plainte avec constitution de partie civile, elle est avisée de ce droit lorsqu'elle comparaît devant le juge d'instruction ».
(59) C. pr. pén., art. 113-1 : « Toute personne nommément visée par un réquisitoire introductif ou par un réquisitoire supplétif et qui n'est pas mise en examen ne peut être entendue que comme témoin assisté ».
(60) C. pr. pén., art. 175-1, al. 1er, préc.
(61) C. pr. pén., art. 80-1, al. 1er : « Le juge d'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi ».
(62) C. pr. pén., art. 174-1 : « Lorsque la chambre de l'instruction annule une mise en examen pour violation des dispositions de l'article 80-1, la personne est considérée comme témoin assisté à compter de son interrogatoire de première comparution et pour l'ensemble de ses interrogatoires ultérieurs, jusqu'à l'issue de l'information, sous réserve des dispositions des articles 113-6 et 113-8 ».
(63) Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC, D. 2024. 967 ; H. Diaz, Nouvelle censure pour l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, Dalloz actualité, 30 mai 2024.
(64) Crim. 2 nov. 2016, n° 16-82.328, D. 2017. 181, obs. E. Dreyer.
(65) Loi du 29 juill. 1881, art. 29.
(66) M. Domingo, Atteintes à la réputation : la protection judiciaire pénale, Gaz. Pal. 6 sept. 1994, p. 999 (« la volonté de protéger au moyen d'un rituel judiciaire minutieux la liberté de la presse ») ; T. Besse, L'irrésistible rétrécissement du droit pénal de la presse, D. 2022. 407 (« Les délits de presse obéissent aux mêmes règles que tout autre délit […] mais leur spécificité réside dans un régime procédural visant à préserver la liberté de la presse ») ; P. Guerder, L'article 53 de la loi de 1881 soumis au verdict de l'assemblée plénière ?, Légipresse 2011. 292 (« Ensuite, il convient de rappeler que la jurisprudence a harmonisé les règles applicables aux procès de presse, pour obtenir un modèle unique, commun aux juridictions civiles et pénales. Cette unification peut être regardée comme une garantie de la liberté de la presse, car l'application d'un régime procédural particulier, dérogeant au droit commun, avec des règles contraignantes renforçant les droits de la défense, a pour objectif et pour effet de protéger la liberté d'expression »).
(67) Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-1089 QPC, préc. ; E. Dreyer, Déroulement du procès, J.-Cl. Com., fasc. 148, 2020, n° 1 (« pour permettre au juge répressif de se prononcer rapidement afin de conserver à la sanction un caractère exemplaire en lien direct avec l'infraction commise »).
(68) CNCDH, avis, préc., § 50 : « En raison de la spécificité de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et particulièrement de son article 51-1 prévoyant un office restreint du juge d'instruction, la CNCDH considère que ce mécanisme de rejet rapide ne devra pas être applicable en matière de presse, afin de conserver la cohérence de cette loi ».
(69) Loi du 29 juill. 1881, art. 55 : « Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires […] il devra, dans le délai de dix jours après la signification de la citation, faire signifier au ministère public ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre : / 1° Les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ; / 2° La copie des pièces ; / 3° Les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire la preuve. / Cette signification contiendra élection de domicile près le tribunal correctionnel, le tout à peine d'être déchu du droit de faire la preuve […] ».
(70) Dir. (UE) 2024/1069, préc., art. 12, al. 2.
(71) C. pr. pén., art. 385, al. 6 : « Dans tous les cas, les exceptions de nullité doivent être présentées avant toute défense au fond ».