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Tribune


01/12/2004


Réformer la loi Evin ?



 

LA FRANCE EST UN PAYS de producteurs et de consommateurs de vin. Les éléments géographiques, historiques, traditionnels, sentimentaux, économiques, politiques qui en résultent, rendent à peu près vain tout espoir de discussion objective sur ce sujet.
1°- La loi du 10 janvier 1991, dite loi Evin, a entendu limiter la publicité en faveur de l'alcool. On peut, pensant que toute disposition visant à protéger la santé publique est positive, considérer qu'il s'agissait d'une loi nécessaire. On peut aussi estimer que la publicité n'est pas la seule responsable de l'alcoolisme, ni d'ailleurs la principale. On peut encore observer que la rédaction de cette loi est imprécise et que, par conséquence nécessaire, la jurisprudence est incertaine. Tout cela est sans doute légitime, mais ne peut suffire à expliquer la confusion régnant dans ce domaine et l'extravagant mélange de fausses idées reçues et de prétendues bonnes intentions auquel donne lieu tout projet de modification du texte. Les récents débats parlementaires et les déclarations les ayant accompagnés en sont une démonstration éclatante.
2°- Certains parlementaires, élus de régions viticoles, prenant appui sur deux ordonnances de référé du tribunal de grande instance de Paris ayant sanctionné les campagnes pour les publicités collectives des Vins de Bordeaux et des Vins de Bourgogne (1), ont présenté une proposition d'amendement de la loi Evin, aux motifs de permettre une possibilité d'expression publicitaire pour les collectives vinicoles et de favoriser la publicité en faveur des AOC, vins dont la qualité d'élaboration devrait pouvoir être exprimée dans la publicité.
3°- On observera dès à présent que ces objectifs étaient déjà remplis dans la rédaction actuelle de la loi Evin, aucune disposition n'interdisant, de quelque manière que ce soit, la publicité en faveur des organismes collectifs de production ou d'exploitation des vins. D'ailleurs, aucune des deux campagnes sanctionnées ne l'a été pour ce motif. Elles l'ont été parce que leur contenu – et notamment les visuels employés – n'était pas conforme à la loi Evin. On peut d'ailleurs penser que cette appréciation du président du tribunal était logique, au moins pour l'une des deux campagnes dont les visuels étaient manifestement sans rapport avec ce qui est permis par la loi et de surcroît particulièrement provocateurs. De plus, la référence au terroir du produit ainsi qu'à sa composition et à son élaboration faisait d'ores et déjà partie des éléments pouvant, selon la loi, figurer dans la publicité des alcools. On rappellera ici que ces éléments pouvaient faire l'objet d'une certaine liberté de création publicitaire, d'ailleurs autorisée par les décisions les plus récentes (2). Cela est parfaitement logique. La publicité ne peut pas être réduite à de l'information. Dès lors que la publicité est autorisée, on ne peut pas exiger qu'elle soit purement informative. Il est difficile, dans ces conditions, de ne pas constater dans ce projet un objectif purement politique, voire “clientéliste” comme l'a relevé le ministre des Transports (il est vrai élu d'une région peu connue pour sa viticulture).
4°- Un premier amendement avait été adopté par le Sénat le 18 mai 2004 autorisant les produits bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, à faire référence à leurs « caractéristiques sensorielles et organoleptiques ». Les caractéristiques en question devaient permettre de faire référence au goût, à l'odeur, à la couleur, à l'aspect et à la consistance des vins. On peut tout admettre et l'on peut notamment estimer que de telles dispositions soient sans effet négatif sur la protection de la santé publique, tant il semble qu'il soit difficile de disposer d'analyses fiables sur les effets de la restriction de la publicité au regard de la consommation d'alcool. Il est en revanche plus difficile aux juristes d'admettre la discrimination ainsi envisagée visà- vis des alcools autres que le vin qui, pour être souvent produits hors de France, n'en répondent pas moins à des critères qualitatifs de plus en plus affirmés. Si les vins seuls devaient être bénéficiaires d'un tel texte, il est manifeste que les dispositions du droit communautaire seraient, au même titre que le simple bon sens, bafouées, ce qui pourrait entraîner une nouvelle condamnation de la France, dans des termes sensiblement identiques à celle qui était intervenue le 10 juillet 1980 sur un thème tout à fait semblable. On rappellera pour mémoire que les alcools étaient alors classés par groupe, bénéficiant chacun de règles distinctes pour leur publicité.
Il se trouve que le groupe comprenant des alcools de raisins bénéficiait d'un régime sensiblement plus favorable que celui des alcools de grains. C'est pour

cette raison que la France a été sanctionnée par la Cour de justice des Communautés européennes (3). Sur le strict plan de la protection de la santé publique, l'objectif ne paraît pas si clair puisque selon le secrétaire général de la Fédération française d'alcoologie, 2/3 des morts liés à l'alcool chaque année sont imputables au vin.
5°- L'amendement voté par l'Assemblée nationale le 13 octobre est rédigé dans les termes suivants: « Cette publicité peut comporter des références et des représentations relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine et à leurs éléments constitutifs tels que définis à l'article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés. Pour les produits bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, la publicité peut comporter des références relatives aux caractéristiques qualitatives du produit. Ces références doivent être compatibles avec l'objectif de modération dans la consommation dudit produit. » Il n'est plus question des caractéristiques organoleptiques des produits, mais de leurs caractéristiques qualitatives.
Il est certain que cette notion sera assez difficile à apprécier, mais pas davantage que les autres notions autorisées par la loi Evin dans le fil de laquelle elle s'inscrit assez logiquement.
6°- L'observateur peut cependant, et malgré la gravité du sujet, sourire en constatant que si le texte est adopté – ce qui, en l'état, est loin d'être certain, le gouvernement ayant fait savoir qu'il déposerait un amendement de suppression – il aura toutes les chances d'être nuisible à l'industrie vinicole. Rappelons que ce texte a pour objectif d'élargir la publicité pour les produits bénéficiant d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique. La plupart des spiritueux et notamment le whisky ou la vodka par exemple, entrent dans ces catégories et pourront donc bénéficier des nouvelles dispositions légales, et ce avec des moyens amplement supérieurs à ceux des viticulteurs français qui se retrouveraient ainsi, grâce au zèle de leurs élus, dans la situation toujours désagréable de l'arroseur arrosé.
7°- On relèvera par ailleurs que l'adoption de ce projet par les députés a donné lieu, comme à l'habitude, à de nombreux commentaires et critiques des différents partis politiques les uns vis-à-vis des autres, et ce bien que le texte ait été adopté par des députés de chaque camp. C'est ainsi que le ministre de la Santé ayant été accusé de ne pas s'être opposé avec suffisamment de fermeté à l'adoption de l'amendement a, dès le surlendemain, fait voter un nouvel amendement aux termes duquel: « Toutes les unités de conditionnement des boissons alcoolisées portent, dans des conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé, un message à caractère sanitaire préconisant l'absence de consommation d'alcool par les femmes enceintes ». Il ne s'agit évidemment pas de s'opposer à la prévention de la consommation d'alcool dans ce qu'elle peut avoir de néfaste, notamment pour les femmes enceintes et leurs enfants à naître. En revanche, le vote dans la précipitation d'un tel amendement, en réponse à des critiques purement politiques, semble nettement plus contestable alors que l'on ignore tout de la portée que pourrait avoir un tel avertissement et alors surtout qu'il ne vise que l'une des situations des dangers que peut causer la consommation ou la surconsommation d'alcool. Pourquoi un message relatif aux femmes enceintes et non un autre concernant la conduite automobile, la protection des enfants ou encore la prévention de la cirrhose du foie? 8°- Finalement, il apparaît bien que la réglementation de la publicité des alcools en France et ses éventuelles évolutions sont des sujets qui sont traités d'une manière strictement politique plutôt que juridique. Les intérêts catégoriels de professions d'une importance économique considérable s'opposent à des objectifs de santé publique, les uns et les autres étant brandis par leurs défenseurs sans qu'apparaisse d'un côté comme de l'autre de démonstration sur la nécessité des modifications envisagées ou refusées. On peut déplorer qu'un discours démocratique sur un tel sujet ne puisse se développer avec davantage de rigueur et de modération.
1er décembre 2004 - Légipresse N°217
1605 mots
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