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Tribune


01/05/2006


L'affaire d'Outreau et la responsabilité des médias



 

La Commission parlementaire dite “Commission Outreau” aura donc, pendant près de deux mois, “mis à plat” les responsabilités de chacun, dans ce qui est apparu comme un dysfonctionnement de la justice. Après les innocents, les juges et les avocats, la Commission s'est évidemment penchée sur le rôle que les médias ont joué – ou auraient dû jouer – dans la partition générale de cette affaire.
Si certains des journalistes ont présenté un mea culpa, la grande majorité d'entre eux n'a pas eu à le faire. De fait, aucun d'eux ne fut poursuivi, ni a fortiori condamné pour avoir publié des informations délictuelles ou même fautives à l'encontre d'un des acteurs de ce procès, que ceux-ci aient été prévenus, parties civiles ou mêmes juges. Certains sont même allés jusqu'à affirmer aux parlementaires qui les interrogeaient que si cette affaire a connu une fin heureuse pour les accusés, c'était aussi grâce à la médiatisation des deux procès devant la cour d'assises.
À l'heure où la Commission a terminé ses auditions et doit rendre un rapport qui comportera des propositions de modifications légales, il n'est pas improbable que celles-ci visent non seulement le Code de procédure pénale mais aussi la loi sur la presse. Interrogeons-nous donc sur les responsabilités de la presse dans les affaires judiciaires en cours, en rappelant tout d'abord ce qu'a été le traitement médiatique de l'affaire d'Outreau, avant de voir les réformes qui pourraient se dessiner au terme des travaux de la Commission parlementaire.
I. Traitement médiatique de l'affaire d'Outreau Trois phases sont à distinguer : - L'instruction du dossier et la mise en détention des suspects Les journalistes qui furent entendus l'ont dit à leur tour, l'affaire a éclaté peu de temps après l'affaire Dutroux, et géographiquement près de celle-ci, en Belgique, à l'heure où la mise à jour et la poursuite des réseaux pédophiles étaient une oeuvre de première salubrité publique. Les “aveux” des principaux “organisateurs” de ce réseau, certes local mais qui semblait alors bien organisé, la dénonciation par ceux-ci des “coupables” et la confirmation de ces accusations par les enfants, ont provoqué les événements que tout le monde connaît, et à laquelle la presse locale puis nationale n'a pu faire autrement que de donner un écho, eu égard à l'ampleur que cette affaire prenait, et à la gravité des faits qui étaient dénoncés. Le sérieux et la réalité de ceux-ci ont été confortés par les décisions judiciaires qui ont été prises : arrestations, gardes à vue et mises en examen des suspects, suivies presque automatiquement de leur mise en détention provisoire.
Si le principe du secret de l'instruction interdit normalement à quiconque a accès au dossier d'en dire le contenu aux journalistes, les décisions ainsi prises sont connues parce que le procureur de la République, en application du 3e alinéa de l'article 11 du Code de procédure pénale, a la possibilité (qui déroge au principe du secret) de rendre publiques ces décisions s'agissant, au sens de ce texte, « d'éléments objectifs tirés de la procédure ». Les journalistes avaient-ils alors les moyens de découvrir ce que les juges n'avaient ni vu ni entendu ? Pouvaient-ils parler de cette affaire autrement qu'en se fiant à ce que leur avaient confié sous le manteau policiers, juges et avocats, comme dans la plupart des affaires ? Certains d'entre eux l'ont dit à la Commission : ils n'ignorent pas que ces informateurs “anonymes” ne sont pas des informateurs objectifs, parce qu'ils ont une cause à faire avancer, et que les bribes d'informations qu'ils veulent bien leur concéder sont le plus souvent partielles ou partiales. Mais comment faire le tri ? Qui croire entre un membre du parquet ou un officier de police judiciaire très affirmatif sur le fait que les charges sont établies avec certitude et les proclamations d'innocence des avocats des suspects, dont les déclarations empruntent un langage trop souvent rituel et répétitif ? Le journaliste qui enquête tente évidemment, en son âme et conscience, de se faire une religion.
Mais il est certain que si le mouvement général que dessinent les premières décisions prises par les juges va dans le sens de l'accusation, il est alors bien compliqué à celui qui n'a pas un accès direct et fiable au contenu du dossier de se faire une opinion contraire. En l'occurrence, force est de constater qu'aucun journaliste n'a, lors du déroulement de l'instruction de l'affaire d'Outreau, dénoncé les erreurs judiciaires qui se commettaient, ni même évoqué les insuffisances et fragilités de l'accusation. Pour autant, ont-ils porté directement des atteintes aux droits des suspects ? Si le fait qu'aucun procès en diffamation ou pour atteinte à la présomption d'innocence n'a été engagé par aucun d'entre eux, ce n'est pas nécessairement la preuve qu'aucune faute n'a été commise. Mais cela démontre que le reproche qui peut être fait à la presse dans cette affaire est moins la mise en cause personnelle des prévenus que la médiatisation de l'existence, alors annoncée, d'un “réseau de pédophiles”.
La presse a donc été défaillante : elle est là pour informer légitimement le citoyen et elle doit surveiller le bon déroulement des institutions démocratiques, dont elle est le «chien de garde» selon la Cour européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
- Les procès devant la cour d'assises La vérité a alors éclaté ! Les journalistes entendus par les parlementaires ont rapporté que la tendance ne s'est pas inversée du jour au lendemain. Sur le banc de la presse, en première instance, certains journalistes restaient les “tenants” de l'accusation, alors que d'autres, notamment ceux qui avaient pu avoir un accès complet au dossier dans les jours précédents l'audience, se sont plus vite rendu compte des failles de cette accusation et des doutes sérieux sur la culpabilité d'un certain nombre des accusés. Puis, on a redécouvert les mérites

de l'audience publique et contradictoire. La confrontation “à armes légales” des arguments défendus de part et d'autre a permis de révéler les incohérences, les mensonges et les affabulations qui ont été le support de l'accusation pendant toute la durée de l'instruction de cette affaire. Ceci fut encore plus notable lors du procès en appel, devant la cour d'assises de Paris, puisque c'est le Ministère public lui-même qui se fit le principal pourfendeur des insuffisances de cette accusation ! On ne saurait évidemment soutenir que si ce procès n'avait pas été médiatisé, comme c'est le cas pour l'immense majorité des procès criminels, ces innocences n'auraient pas été révélées. On peut toutefois se féliciter que la présence de ces “yeux de l'opinion publique” que sont les journalistes ait abouti à la reconnaissance par la juridiction de jugement que, nonobstant les charges qui avaient pu justifier le déclenchement des poursuites à leur encontre, les accusés étaient innocents.
La présence certes silencieuse des journalistes dans une salle d'audience est toujours une garantie du bon déroulement du procès. C'est d'ailleurs ce qui justifie qu'ils aient un banc à part, bien placé, avec un pupitre pour prendre des notes. Ainsi le veut le principe de publicité des débats judiciaires.
Seules les auditions des enfants, qui étaient pourtant les principaux accusateurs, se déroulèrent à huis clos. Les journalistes retrouvèrent alors les difficultés qu'ils avaient rencontrées lors de l'instruction.
Ils durent se contenter des déclarations des avocats à la porte de l'audience, sans que, selon qu'ils étaient de l'un ou de l'autre côté de la barre, leurs versions soient nécessairement concordantes… - Les auditions devant la Commission parlementaire Il est incontestable que la troisième phase de cette affaire est constituée par l'audition de ses “acteurs” devant la représentation nationale. Les déclarations des innocents, puis celles des magistrats, ont eu un écho médiatique encore plus important que ne l'avait eu le déroulement du procès. Et ce, pour la raison principale qu'il fut décidé de diffuser les auditions sur la chaîne de télévision parlementaire.
Le Parlement en charge d'enquêter pour tenter de comprendre les raisons du dysfonctionnement est alors devenu un acteur de plus dans cette affaire. Non seulement au titre de cette enquête, mais également comme média à son tour, puisque titulaire d'un service de télévision, dont les scores d'audiences n'ont jamais été aussi importants qu'à cette occasion.
La Commission n'a-t-elle pas alors “pêché” dans ce qu'elle dénonçait ? S'agissait-il simplement d'informer en toute transparence sur une question d'intérêt public fondamentale, ou n'y a-t-il pas eu de sa part ce “sensationnalisme” trop souvent reproché aux médias lorsqu'ils s'intéressent à une affaire judiciaire en cours ? La frontière est sans doute difficile à établir.
Ce retournement de situation amène à se demander, comme Jean de la Fontaine, si tel n'est pas pris qui croyait prendre ? Pour autant, il est indéniable que ce sont bien ces auditions télévisées qui ont provoqué l'immense adhésion de l'opinion publique aux travaux alors engagés pour tenter, si ce n'est de réformer, en tout cas de comprendre le fonctionnement de notre procédure pénale. Et si cela débouche, comme on peut l'espérer, sur une réforme visant à améliorer le fonctionnement de notre démocratie en la matière, ce sera aussi une conséquence de cette médiatisation.
II. La réforme souhaitable On se bornera à constater ici que la question de la réforme de la procédure pénale est périodiquement remise sur l'ouvrage du Parlement : après la loi Guigou du 15 juin 2000 et plus de dix ans après celle du 4 janvier 1993, il est probable qu'on fera un pas de plus du système inquisitoire vers le système accusatoire.
Mais comme à chaque fois, la presse sera de la partie. Le législateur ajoutera probablement aussi à la loi de 1881 de nouvelles incriminations ou restrictions. Et c'est très sûrement la question du maintien du secret de l'instruction dont il va être à nouveau débattu. S'il est peu probable que, comme le souhaitent manifestement certains membres de la Commission, il y ait lieu à un renforcement du secret de l'instruction, on peut au contraire souhaiter que celui-ci soit aménagé afin de permettre aux « chiens de garde » de notre démocratie que sont les journalistes de contrôler l'effectivité et le bon déroulement des principes fondamentaux de notre justice pénale, en particulier le respect du procès équitable et celui de la présomption d'innocence. Répétons qu'on ne saurait faire le reproche à la presse dans l'affaire d'Outreau, comme dans toutes les autres, de n'avoir pas pu découvrir, et par conséquent écrire, l'éventuelle innocence des mis en cause, et de n'avoir, pour cette raison, pu que s'en remettre au “nécessaire” bien fondé des décisions judiciaires qui ont été prises à leur encontre. L'affaire d'Outreau a montré, une fois encore, que dès lors qu'à l'audience les preuves ont pu être confrontées publiquement et contradictoirement, la presse a modifié son point de vue. Il est bien évident que si de telles audiences publiques, devant le juge des libertés et de la détention ou devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel, s'étaient tenues lors des mises en détention des intéressés, l'écho qui aurait pu être réservé à leur sort dans les colonnes des journaux aurait été différent. Il est parfaitement contestable que ce soit au prétexte du respect à la présomption d'innocence que ces audiences se tiennent en secret, puisque la décision qui peut alors être prise contre les prévenus porte définitivement atteinte à leur présomption d'innocence.
Les détentions ordonnées n'ayant de “provisoire” que le nom.
Il est probable qu'un certain nombre des “acquittés d'Outreau” aurait souhaité que les audiences lors desquelles leur détention fut décidée, prolongée et confirmée, aient pu se dérouler en présence de la presse. (Comment interpréter autrement cet épisode raconté devant la Commission, où l'Abbé Weil se mit, dans le secret du cabinet du juge, à chanter La Marseillaise ?) Si l'enquête policière mérite très certainement une protection légale assurant l'effectivité de sa discrétion pour protéger son efficacité, il n'est pas sûr que cette justification soit suffisante pour l'instruction, alors que celle-ci peut durer plusieurs années et que des décisions de mise en détention – c'est-à-dire déjà l'exécution d'une peine – sont prises.
Certes, la loi Guigou – renforçant en cela ce qui avait été mis en place dès la loi du 4 janvier 1993 – a créé la possibilité de rendre publiques les audiences devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel, mais la décision de rendre ou non ces audiences publiques appartient au président de la juridiction.
Il faut, nous semble-t-il, donner à ces audiences un caractère public plus systématique. Seul le prévenu devrait être en droit de refuser une telle publicité. Ce droit doit d'autant plus lui être reconnu qu'en l'état des règles applicables, le seul informateur “officiel” d'un dossier en cours est le Procureur de la République, dans les conditions sus-rappelées, alors qu'il n'est qu'une des parties au procès et, en l'occurrence, le tenant de l'accusation. Ces “fenêtres de publicité” seraient la garantie des prévenus de pouvoir pousser publiquement et, “officiellement” eux aussi, leur cri éventuel d'innocence !
1er mai 2006 - Légipresse N°231
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