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Tribune


01/04/2006


“L'exception bibliothèque” ou l'histoire d'un imprévu dans la loi DADVSI



 

Le milieu des bibliothécaires, chargé de l'accès le plus large à la culture, avait dû accepter il y a peu, après une bataille (en)rangée de près d'une décennie, l'instauration législative d'un droit de prêt. C'est dire si, à l'occasion de la transposition plus qu'agitée de la directive du 22 mai 2001 « sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information », les attentes étaient grandes de voir la France prendre enfin conscience du rôle fondamental que jouent les lieux de “lecture publique” pour l'initiation à la littérature et au savoir. Car la fameuse directive avait expressément prévu, en son article 5 c), une exception facultative au profit des « actes de reproduction spécifiques effectués par des bibliothèques accessibles au public, des établissements d'enseignement ou des musées ou par des archives, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect ».
Le texte gouvernemental originel de transposition – la désormais fameuse loi DADVSI – a écarté d'emblée cette hypothèse. En réaction, il a donc fait l'objet, dès l'été dernier, de nombreux amendements déposés en faveur de l'adoption par le législateur français d'une véritable exception en faveur des bibliothèques, destinée à s'inscrire en complément de l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Inflation d'amendements Droite et gauche s'en sont donné à coeur joie en quelques jours, démentant toute paresse parlementaire, en particulier à l'aube des vacances estivales.
Christian Blanc a sonné la charge, par un premier amendement, déposé le 30 mai 2005 en des termes exactement similaires à ceux de la directive. Il a été suivi, le 10 juin suivant, par d'autres libellés, suggérés par M. Warsmann, ainsi que par M. Goasguen, mais aussi, dans une autre version (avancée en trois amendements !), par MM. Pélissard, Bourg-Broc et Merville ; puis dans une quatrième, par Mme Tanguy accompagnée de MM.Albertini, Flajolet, Auberger et Lassalle. Une journée aussi fertile en initiatives ne pouvait se conclure sans l'apparition d'un amendement "vert", porté par Martine Billard (ancienne bibliothécaire de profession), ainsi que MM. Yves Cochet et Noël Mamère… le tout en deux salves. Trois jours plus tard, le groupe socialiste, incarné en l'occurrence par MM. Bloche, Christian Paul, Caresche et Mathus, et ne voulant pas être en reste, en revenait à reproposer la rédaction communautaire de départ… La même journée que les socialistes, la frénésie semblait gagner deux autres élus, en la personne de MM. Dionis du Séjour et Baguet. Ceux-ci esquissaient d'abord la formule suivante : « lorsqu'il s'agit de l'utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherches ou d'études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers dans les locaux des bibliothèques accessibles au public, des établissements d'enseignement ou des musées ou par des archives, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect, d'oeuvres et d'autres objets protégés faisant partie de leur collection qui ne sont pas soumis à des conditions en matière d'achat ou de licence». Les deux mêmes députés récidivaient à quelques heures d'intervalle pour ajouter le mot « bibliothèque » à la seule exception alors envisagée par la rue de Valois et portant à l'époque, rappelons- le, sur les handicapés. Rebelote en fin de journée, toujours par ce curieux tandem de parlementaires à l'esprit d'escalier, qui redéposaient… un amendement rectificatif à leur première rédaction de la journée.
L'inflation d'idées autour de l'exception bibliothèque reprenait en fin d'année. Contentons-nous de mentionner un article additionnel confectionné par MM. Hamelin, Fenech et Philip, auxquels succédaient trois amendements datés du 14 décembre, présentés par M. Dutoit et le groupe communiste et républicain… Autant dire que la simple exégèse de ces propositions d'amendements (et de leurs inéluctables "exposés sommaires" provenant de toutes parts) mériterait à elle seule une thèse de doctorat par un moderne Champollion capable de déchiffrer la prose parlementaire appliquée aux rapports entre droit d'auteur et bibliothèque.

Confusion ministérielle C'est lors de la séance du 21 décembre 2005 que la question fut enfin débattue sur les bancs de l'Assemblée. La réponse du gouvernement fut en premier lieu sans appel à cette tentative de lui faire adopter un régime dérogatoire pour les bibliothèques. Le rapporteur se contentait, par exemple, de rétorquer laconiquement aux arguments de M. Jean-Luc Warsmann : «Avis défavorable. Nous avons décidé de ne retenir qu'une seule exception : celle qui concerne les handicapés». Quant au ministre, il invoquait, dans une répartie révélatrice d'une certaine confusion d'esprit que d'aucuns auront remarquée à propos d'autres points du projet de loi DADVSI : « Même avis. Les usages visés sont en conflit avec les conventions sur la reprographie et les projets d'accords entre les ayants droit et le ministère de l'Éducation. Cet amendement favoriserait le transfert d'exploitation de la copie sur papier à la copie numérique – exception que ne prévoit pas le texte. Néanmoins, le projet de loi répond en partie à votre préoccupation, puisqu'il prévoit une exception au profit des services chargés du dépôt légal (sic).
La directive précise qu'il est opportun de promouvoir des contrats spécifiques avec ces établissements pour leur permettre de réaliser leur mission de diffusion (…)».
Malgré ce mélange des genres, Martine Billard n'en démordait pas : « Je soutiens aussi cet amendement, et la réponse du ministre ne m'a pas satisfaite. C'est l'ensemble des bibliothèques de tous types – des bibliothèques municipales aux bibliothèques d'entreprise, qui devront négocier, pied à pied, pour obtenir le droit d'utiliser des oeuvres numérisées. Jadis, au cours de débats ardus, certains voulaient refuser aux bibliothèques le droit de diffuser des cassettes vidéo ou des CD et de devenir ainsi les actuelles médiathèques. Aujourd'hui, le même débat a lieu sur les nouvelles technologies : il est temps de prendre en compte l'évolution technologique, et d'autoriser ces usages dans les bibliothèques sans attendre de longues et difficiles négociations entre des acteurs très différents. Il serait donc sage d'inclure toutes les bibliothèques publiques et assimilées dans le projet de loi. Nous favoriserons ainsi la fréquentation de ces établissements et l'accès à la connaissance !» Cette joute verbale resta vaine, car l'exception bibliothèque telle que présentée fut rejetée aux voix quelques instants plus tard. Mais un nouveau rebondissement eut lieu deux délibérations plus tard, lorsque le même ministre accepta, à la surprise des députés présents, et en dépit de l'avis défavorable du rapporteur, d'accepter, à une retouche près, l'amendement Pélissard, portant peu ou prou sur le même thème… André Chassaigne en profitait pour placer que «décidément, mieux vaut ne pas présenter une patte rouge dans cet hémicycle pour faire aboutir une proposition ». Et Pierre-Christophe Baguet de surenchérir : « Nous terminons cette séance sur une note oecuménique! Déposé par un député de l'UMP, cet amendement aura été défendu par un UDF, avec le soutien de communistes et l'avis favorable du gouvernement ! ".
Une résurrection Las ! Comme on s'en souvient, l'examen du projet fut suspendu, puis remis entièrement à plat. Le fameux article premier, porteur de cette inattendue “exception bibliothèque”, perdit de sa vigueur avec l'irruption de la licence globale optionnelle, si peu désirée par une partie des parlementaires de la majorité.
Avant la reprise du chantier, en mars, le gouvernement avait de nouveau fait table rase de tout ce qui ne concernait pas les seuls handicapés. Nouvel étonnement donc, quand, le 6 mars, le ministre de la Culture reproposait soudainement un article premier où réapparaissaient… les bibliothèques. Au rang des exceptions, il était proposé « les copies effectuées par une bibliothèque ou un service d'archives accessible au public, d'oeuvres protégées appartenant à leurs collections, lorsque le support sur lequel est fixée l'oeuvre n'est plus disponible à la vente ou que le format de lecture est devenu obsolète.
Ces copies sont autorisées à la condition qu'elles ne visent aucun avantage commercial ou économique (…).». Le lendemain, dix-neuf députés socialistes revenaient à la charge en soumettant la rédaction suivante, qui figure aujourd'hui dans le texte adopté : « les actes de reproductions spécifiques effectuées par des bibliothèques accessibles au public, des musées ou par des services d'archive, qui ne recherchent aucun avantage commercial ou économique direct ou indirect ». Ils ajoutaient : « Comment pourrait-on en effet envisager que dans la civilisation numérique, où les oeuvres sont copiables à l'infini pour un coût marginal nul, les plus démunis d'entre nous n'aient accès qu'aux oeuvres épuisées, indisponibles à la vente ou dont le format de lecture est devenu obsolète? Ce serait une définition des plus étranges de l'accessibilité du savoir au plus grand nombre ».
Dans un débat parlementaire dont la fameuse patrie du droit d'auteur n'est guère sortie grandie, l'exception bibliothèque aura finalement et miraculeusement survécu depuis l'élaboration de la directive. Elle permet ainsi à la France de ne pas oublier totalement que le droit d'auteur est une nécessaire articulation entre le droit de la culture et le droit à la culture. Seul le Syndicat national de l'Édition (qui n'a semblé véritablement réaliser les enjeux de la loi DADVSI qu'à la lecture de la presse généraliste, au lendemain de son retour de vacances hivernales) fait figure à présent de mauvais coucheur. Son président a ainsi déclaré, à la surprise générale, dans Libération, qu'«il est certain que nous devons rencontrer les bibliothécaires à propos de l'exception qui les concerne et trouver un accord». À croire que certains professionnels du livre, restés quasi-muets pendant des mois, n'aient pas bien compris le sens d'un vote solennel de l'Assemblée nationale.
1er avril 2006 - Légipresse N°230
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