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Tribune


01/05/2011


De la chimérique imprescriptibilité des diffamations sur internet



 

La proposition de rendre imprescriptibles les diffamations accessibles sur l'internet, présentée par le bâtonnier Christian Charrière- Bournazel dans la dernière livraison de la Gazette du Palais (1), mérite d'être signalée dans nos colonnes.
Constatant qu'« à la mémoire éphémère du papier, s'est substituée une mémoire inaltérable et universelle qui ne laisse aucune chance à l'oubli, alors que toute personne humaine a droit au respect de sa vie privée, de sa vie intérieure, à ses secrets et à l'oubli de ce qu'elle veut taire », il déplore qu'on ne puisse obtenir « la suppression d'une très ancienne diffamation qui bénéficie de la prescription de trois mois depuis bien longtemps. Comment justifier, ajoute-t-il, la demande de suppression d'un message contre lequel plus aucune action n'est possible ? ».
Pour y remédier, il suggère qu'on crée une « action en suppression » qui échapperait à la prescription trimestrielle. Il propose que la suppression ne soit pas acquise si la diffamation est justifiée, et qu'elle soit de droit, si elle ne l'est pas, « tout en constituant la seule mesure que le juge aura le droit d'ordonner ».
En fait, la question n'est pas nouvelle. L'arrivée d'internet a d'abord amené le juge à tenter de dire que les délits de presse qui y seraient commis seraient des infractions continues, et non plus instantanées (2), tentative qui a été censurée par la chambre criminelle de la Cour de cassation (3).
Il y a eu ensuite un essai dans le même sens du législateur qui, à l'occasion de l'adoption de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (Lcen) – laquelle évoque au titre du droit de réponse, un « droit de suppression », à son article 6-IV –, avait voté que la prescription ne commencerait à courir qu'à compter du moment où la mise à disposition au public du message constitutif de l'infraction « cessait », lorsque celui-ci était directement accessible en ligne, sans publication préalable sur le support papier. Cette deuxième tentative fut, elle aussi, censurée par le Conseil constitutionnel (4)! Le bâtonnier Charrière-Bournazel propose un procès en diffamation “bis”, où le seul enjeu ne serait plus que la suppression du message litigieux.
Ce qui, au demeurant, n'est pas rien. C'est même tout. La suppression d'une information est, en son principe, la pire sanction pour le journal. Certes, la réparation pécuniaire peut avoir des conséquences très lourdes à son égard, mais la suppression est directement contraire au principe de libre expression et de communication des pensées et des idées.
Conscient de cette difficulté, le promoteur de cette proposition ne considère pas que le seul caractère diffamatoire de l'assertion justifierait cette suppression, puisque subsisterait pour le journal la possibilité de se défendre en faisant la preuve de la vérité du fait diffamatoire, ou celle de sa bonne foi.
S'il est vrai que désormais (5) la preuve de la vérité des faits de plus de dix ans n'est plus interdite, on soulèvera tout d'abord la difficulté matérielle que représente, en pratique, la conservation de la preuve de la vérité de ce qu'on a pu écrire plusieurs années auparavant, notamment en raison du départ possible de l'entreprise, depuis lors, du journaliste qui en fut l'auteur. Quant à l'examen de la bonne foi – qui rencontrerait les mêmes difficultés probatoires quant à l'exigence d'enquête sérieuse ! – s'apprécierait-elle au jour de la publication, ou bien le débat ne porterait-il pas, par essence, sur la question de la légitimité du maintien en ligne de l'information litigieuse, comme ne s'intégrant plus dans l'actualité ? Ce procès, nécessairement civil, serait donc bancal, comme n'offrant pas nécessairement toutes les garanties en défense.
La proposition du bâtonnier Charrière-Bournazel ne doit pas toutefois être prise à la légère, car elle tente de répondre à une préoccupation assez générale et sans doute légitime. Et elle est émise par une voix écoutée, d'un juriste d'envergure qui n'ignore pas les spécificités des affaires de presse, pour en plaider habituellement (6).

Pour autant, la vraie difficulté ne nous paraît pas ressortir de la diffamation, mais du droit à l'oubli (7). Et le débat devrait concerner les premiers responsables de cette absence d'oubli des informations publiées, qui sont moins ceux qui les ont éditées, que ceux qui y donnent accès. Le rôle central des moteurs de recherche ne peut, à ce titre, être ignoré. Le responsable de la révélation des impérities anciennes d'une personne, dont la publication fut légitime en son temps, mais qui mériteraient de tomber dans l'oubli les années passant est, au premier chef, l'éditeur de la page d'indexation à laquelle on accède par le truchement du nom de l'intéressé. Celui qui fait connaître et rend accessible des informations qui seraient sinon effectivement tombées dans l'oubli, même si toujours disponibles sur les pages « archives » des journaux, a bien un rôle causal central. Le moteur de recherche est certes un automate. Il n'en est pas moins l'éditeur des pages où figurent les indexations à partir desquelles on accède aux sites des journaux.
La réflexion doit plus porter sur le droit qu'auraient certaines personnes dont le passé doit, après un temps légitime, tomber dans l'oubli, non pas d'obtenir la suppression de l'information dans son ensemble, mais plus simplement son “anonymisation”.
La proposition du bâtonnier Charrière-Bournazel ne saurait permettre aux retardataires d'intenter une action en diffamation après l'heure. L'information non poursuivie en son temps était donc nécessairement légitime. Faut-il rappeler que les poursuites lorsqu'elles sont fondées aboutissent le plus souvent non seulement à l'allocation de dommages et intérêts, mais également à voir ordonner par le juge la suppression des passages diffamatoires ? La suppression pour cause de diffamation n'est pas la bonne solution, si la preuve de la vérité permet d'y échapper. Car ce dont se plaignent les personnes intéressées est moins la fausseté des faits qui les mettent en cause, que l'illégitimité de les laisser publics.
C'est donc, nous semble-t-il, au regard du droit à l'oubli que les inquiétudes exprimées par le bâtonnier Charrière-Bournazel méritent d'être envisagées, et plus particulièrement du droit d'indexer les patronymes qui, passé un certain délai, devrait être réglementé comme ressortant sans doute du domaine des données personnelles.
1er mai 2011 - Légipresse N°283
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