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Tribune


01/10/2013


Fonds Google : conflits d'intérêts et distorsion de concurrence



Maurice BOTBOL
Président du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil) ...
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Malgré les efforts affichés par ses initiateurs pour présenter le « Fonds Google – Aipg pour l'innovation numérique de la presse » (Finp) comme un modèle de transparence, celui-ci soulève de nombreuses interrogations au niveau de sa gouvernance comme en droit de la concurrence.
Rappelons tout d'abord le contexte dans lequel ce fonds de 60 millions d'euros sur trois ans a été décidé en février 2013. Présenté comme l'aboutissement d'une négociation entre deux acteurs privés – Google et l'Association de la presse d'information politique et générale (Aipg) –, cet accord a été signé à l'Elysée en présence de la plus haute autorité de l'État, le président François Hollande, qui a paraphé devant les caméras un document resté secret jusqu'à ce jour. D'où une première question : si cet accord est strictement privé, pourquoi la présidence de la République s'est-elle aussi fortement impliquée dans sa négociation et sa conclusion, en tenant à l'écart (sauf pour la photo finale) les deux ministres directement concernés, Aurélie Filippetti (culture) et Fleur Pellerin (numérique) ? Voyons maintenant quels sont les promoteurs de ce fonds, officiellement lancé le 19 septembre sous forme d'association loi 1901. Ses deux membres fondateurs – et exclusifs – sont la société Google Ireland Ltd basée à Dublin, et l'Association de la presse Ipg. Preuve, s'il en est, du caractère délibérément fermé de cette association : ses statuts précisent que « nul ne peut être membre de l'association, à l'exception des deux membres » (article 6.2). Club privé réservé à ses deux seuls membres, le Fonds affirme pourtant sur son site des ambitions bien plus universelles, à savoir : « Favoriser le développement sur le long terme de la presse en ligne d'information politique et générale en France. » (1) On pourrait bien évidemment souscrire à ce noble objectif si l'Aipg était réellement représentative de l'ensemble de la presse d'information politique et générale française. Or, les statuts de l'Aipg, créée le 19 juin 2012, sont particulièrement restrictifs. Ils prévoient que ne peuvent devenir membres de l'association que les éditeurs de « journaux et publications payants et imprimés sur papier reconnus d'information politique et générale » (article 6.1). Sont ainsi clairement exclus les journaux gratuits pourtant assimilés Ipg (20 Minutes, Metro, Direct Matin, etc.) et surtout les sites d'information politique et générale (Mediapart, Rue89, Slate, Atlantico, Arrêt sur Images, etc.) dits « pure players ». Ces derniers sont notamment représentés depuis 2009 par le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (Spiil) dont les membres fondateurs sont tous Ipg.
Il faut donc bien admettre que l'Aipg ne peut en aucun cas affirmer représenter l'ensemble de la presse d'information politique et générale. Or, tandis que les promoteurs du Finp affirment que celui-ci est ouvert à tous les sites de presse Ipg, y compris, les pure players, ces derniers ont été volontairement exclus de sa gouvernance. À la suite de plusieurs réunions, et officiellement par courrier en date du 24 mars 2013, le Spiil a demandé qu'un de ses membres soit nommé administrateur du Fonds. Cette proposition a été refusée, renforçant le caractère exclusif du Fonds, dont les administrateurs représentant la presse sont tous membres de la seule Aipg.
Cette situation soulève, de fait, un certain nombre de difficultés : 1. La gouvernance du Fonds Les administrateurs presse du Fonds (Le Nouvel Observateur, Le Figaro, Les Echos, Lagardère Active, Spqn, Spqr), qui représentent tous des groupes importants, en seront les principaux bénéficiaires.
Le conflit d'intérêts est patent. Comment pourront-ils, en toute objectivité, évaluer des dossiers qui les concernent directement, soit parce que ce sont les leurs, soit parce que ce sont ceux de leurs concurrents directs ? Ainsi que le relève le communiqué du Spiil du 19 septembre : « Les administrateurs du Fonds auront également accès à des dossiers détaillés sur la stratégie éditoriale et commerciale d'entreprises concurrentes, leur(s) modèles économiques, leurs règles de tarification, leurs performances de monétisation d'audience et de bases de données,

par exemple. Les règles de confidentialité, même strictement appliquées, n'empêchent pas que, concrètement, les administrateurs du Fonds auront accès à des informations commerciales stratégiques sur leurs concurrents, ce qui est contraire aux principes mêmes du droit de la concurrence. » (2) 2. Le périmètre du Fonds On estime à cinq mille le nombre de sites de presse en France.
Sur ce nombre, seuls cent soixante-cinq sont officiellement reconnus comme Ipg par l'autorité habilitée à octroyer ce “label”, la Commission paritaire des publications et agences de presse (Cppap). C'est donc cette infime minorité de sites qui aura accès aux 60 millions d'euros de subventions du Finp, créant une distorsion de concurrence avec les très nombreux sites qui ne sont pas labellisés Ipg. Pourquoi ? Dans une logique de course à l'audience, la plupart des gros sites Ipg ont développé une multitude de sections ou de sous-sites qui ne sont en aucun cas Ipg, et qui sont des concurrents directs de sites spécialisés qui ne peuvent accéder aux subventions du Finp car ils ne font pas partie d'un grand groupe dont le navire amiral est Ipg. Ainsi, Le Figaro propose des sous-sites Santé, Bourse, Nautisme, Voyage, Enchères, Vins, Golf, tous sous l'Url lefigaro.fr, et donc éligibles au Finp. Le Nouvel Observateur a fait de même avec les sous-sites Pourquoi Docteur et Ciné Obs. Le site de L'Express intègre Votre argent, L'Étudiant, L'Entreprise, Coté maison, etc. Le site des Echos intègre le site boursier Investir et un Wine Club. De fait, dans l'univers numérique, le périmètre Ipg ne peut plus être défini avec précision, et devient donc vecteur de distorsion de concurrence.
On peut remarquer à ce propos, qu'à aucun moment, dans les règles, critères et dossiers types publiés sur le site du Finp, il n'est exigé que le projet soutenu par le Fonds réponde, lui-même, aux critères d'information politique et générale.
3. Le fonctionnement du Fonds Lorsque les règles de fonctionnement du Fonds ont été rendues publiques le 19 septembre, il a été annoncé que les subventions concerneraient rétroactivement des projets débutés à compter du 1er janvier 2013 ; que la première date limite de dépôt des premiers dossiers était fixée au 10 octobre ; et que la première réunion du conseil d'administration chargé de les examiner serait le 17 octobre. Un bel exercice acrobatique ! En violation flagrante des règles d'équité et de transparence clamées par les fondateurs du Fonds. Comment imaginer qu'un tel calendrier est compatible avec une quelconque égalité de traitement entre tous les projets présentés ? Comment penser que les membres de l'Aipg ne savaient pas depuis plusieurs mois que leurs projets seraient pris en charge à compter du 1er janvier, alors que les autres éditeurs ne l'ont découvert que le 19 septembre ? à titre de comparaison, rappelons que lorsqu'il s'agit d'aides publiques à la presse, une règle absolue veut que ne soient prises en compte que les dépenses engagées après la date de dépôt du dossier d'aide. Comment expliquer que des projets, dont le montant peut atteindre 3,3 millions d'euros (et subventionnés à hauteur de 2 millions d'euros) peuvent être raisonnablement constitués en trois semaines ? Et surtout comment peut-on estimer qu'ils peuvent être valablement instruits et validés en à peine huit jours ? 4. La notion d'innovation La lecture des critères d'éligibilité et d'appréciation des projets, tels que présentés sur le site du Finp (3) laisse pour le moins perplexe. On peut s'étonner qu'une société aussi innovante que Google se contente de définitions aussi vagues de l'innovation, pourtant objectif principal et critère déterminant d'éligibilité des projets. Ainsi, le Finp indique que « le caractère innovant s'apprécie pour chaque projet en tant que tel, en prenant en considération la transition numérique que chaque éditeur opère ou renforce, mais également au regard du positionnement du projet sur le marché de la presse Ipg en ligne ». Difficile de faire plus flou. Ce qui laisse, de facto, la place à l'arbitraire. On notera également la référence appuyée à la notion de « transition numérique », que l'on retrouve également dans les statuts du Finp, et qui apparaît comme essentielle dans la définition de l'innovation. Quid alors des pure players qui ne sont guère concernés par cette transition, puisqu'ils sont “nativement” numériques ? On note bien là la prédominance des préoccupations de l'Aipg, qui ne représente que la seule presse imprimée.
Dès sa création, le Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne s'est battu pour que les aides publiques à la presse deviennent transparentes, équitables, et plus efficaces.
Après bien d'autres, un récent rapport de la Cour des comptes a montré à quel point elles ne sont ni l'une, ni l'autre (4). Les pouvoirs publics paraissent cependant avoir pris conscience de la nécessité de faire évoluer leur système d'aides, et ont commencé à prendre des mesures de « moralisation ». Or, les familles de presse qui étaient, depuis 1945, les principales bénéficiaires d'aides publiques devenues aujourd'hui contestables, sont en train de reconstituer un mécanisme similaire grâce aux fonds privés d'une multinationale américaine, Google. Au mépris des conflits d'intérêts qu'elles génèrent et des distorsions de concurrence qu'elles provoquent.
1er octobre 2013 - Légipresse N°309
1675 mots
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