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Tribune


01/01/2014


Projet de règlement européen sur le droit à l'oubli : les conséquences pour la presse



Bruno Contestin
Directeur des affaires juridiques La Voix du Nord
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La Commission européenne a présenté le 25 janvier 2012 un projet de règlement sur la protection des données personnelles, qui sera d'application directe dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Le Parlement européen a voté, le 21 octobre dernier, une version amendée de ce texte qui devrait être soumise prochainement au Conseil de l'Union européenne. L'objectif est d'obtenir un vote avant les élections européennes, la dernière session du Parlement actuel devant se tenir mi-avril 2014.
Le projet voté par le Parlement instaure un droit à l'oubli (appelé « droit à l'effacement ») qui ne sera pas sans conséquences sur les activités de presse. En effet, les nouvelles dispositions seront applicables à l'ensemble des acteurs économiques ; or, dans ce projet, rien n'est prévu pour garantir spécifiquement aux organismes de presse des dérogations adaptées à leur activité. L'équilibre entre la liberté de la presse et la protection des données personnelles est donc en passe d'être modifié par le législateur européen.
Pour prendre la mesure des risques encourus par la presse, il est utile de rappeler quelle est la situation actuelle du droit à l'oubli en France. La loi Informatique et Libertés de 1978, modifiée en 2004, comporte de nombreuses dispositions susceptibles de porter atteinte à la liberté de la presse. Tel est le cas notamment de la durée limitée de conservation des données (Art. 6-5°), de l'interdiction du traitement de données sensibles (appartenance à un syndicat, opinions politiques…) (Art. 8) ou des traitements sur les infractions (Art. 9) ; on peut encore citer l'information préalable de la personne auprès de laquelle des données personnelles sont recueillies (Art. 32), le droit d'accès aux données traitées des personnes concernées (Art. 39) ou enfin le droit de rectification et d'effacement, qui s'apparente à un « droit à l'oubli » (Art. 40). Pour garantir les droits fondamentaux de la presse, l'article 67 de la loi de 1978 a tout simplement écarté l'application de ces règles aux traitements de données mis en oeuvre aux fins d'exercice de l'activité de journaliste. C'est ainsi que, par exemple, les organismes de presse peuvent traiter et publier des données personnelles sans limitation de durée, par dérogation aux dispositions de l'article 6-5° de la loi (1).
Néanmoins, pour assurer un nécessaire équilibre entre les droits des individus et ceux de la presse, l'article 38 de la loi Informatique et Libertés reconnaît à toute personne physique le droit de « s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement » ; la Cnil impose d'ailleurs aux entreprises de presse de répondre, favorablement ou non, aux personnes qui revendiquent l'effacement d'un article ou de leur nom en leur donnant une justification, et ce sur le fondement de l'article 94 du décret du 20 octobre 2005 (2)… La jurisprudence est déjà intervenue pour faire droit à une demande d'effacement en matière de presse. Le tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance le 25 juin 2009 imposant à un journal, sur le fondement de la loi Informatique et Libertés de prendre certaines mesures pour protéger une personne sanctionnée par la Cob (devenue l'Amf) puis mis hors de cause.
En l'espèce, l'insertion de droits de réponse ou de rectifications à côté de l'article litigieux et la désindexation de l'article pour faire disparaître le lien sur les moteurs de recherche internet ont été ordonnés par le juge (3).
Mais on observera que ces contraintes, conformes dans ce type de situation à la déontologie des journalistes, ne portent pas fondamentalement atteinte à la liberté de la presse puisque les personnes ne peuvent pas exiger de l'organisme de presse le retrait des articles les concernant.
Le projet européen voté par le Parlement apparaît bien moins protecteur des intérêts de la presse que les dispositions de la loi de 1978. Contrairement à la loi française, l'article 17 du projet instaurant un droit à l'effacement des données à caractère personnel et la cessation de la diffusion ne prévoit aucune dérogation expresse au profit de la presse. Si le texte de l'article 17 introduit bien une exception au droit à l'effacement au profit du responsable du traitement lorsque la conservation des données à caractère personnel est nécessaire « à l'exercice du droit à la

liberté d'expression », le projet abandonne aux États membres le soin d'en réglementer la mise en oeuvre. L'article 80 du projet auquel renvoie l'article 17 précise en effet que les États membres ont la faculté de prévoir chaque fois que cela est nécessaire des exceptions aux dispositions du projet susceptibles de porter atteinte à la liberté d'expression. Les législations nationales pourront alors prendre toutes les mesures nécessaires à la limitation de la durée de conservation des données, à l'interdiction des traitements portant sur certaines catégories de traitements (opinions politiques ou condamnations pénales), à l'information des personnes et, bien sûr, au droit d'accès et au droit à l'effacement.
Cependant, ce renvoi vers les États membres ne garantit aucunement que ceux-ci adopteront des exceptions en faveur de la presse. À cet égard, le projet du Parlement, contrairement au texte initial de la Commission, ne fait plus référence au « journalisme » comme fondement aux exceptions, ces dernières devant désormais concerner la « liberté d'expression » au sens large.
La nouvelle rédaction du texte manque alors de précision, la presse étant englobée dans toutes les activités liées à la liberté d'expression. Par ailleurs, dans son considérant 121 explicitant les exceptions de l'article 80, le législateur européen paraît bien peu exigeant : « Si nécessaire, des exceptions… devraient être possibles », peut-on y lire ; une formulation pour le moins peu contraignante pour les États membres. Cela peut d'ailleurs générer de possibles disparités quant à l'existence et l'étendue de la protection de la presse en Europe.
L'article 80 du projet de règlement voté par le Parlement n'assurant pas d'exceptions claires, l'application du texte peut par conséquent porter préjudice à la liberté de la presse. En effet, si le règlement était voté en l'état, les entreprises de presse pourraient par exemple être contraintes à anonymiser les noms des personnes physiques (en raison de l'interdiction du traitement de données sensibles) ou encore à ne plus mettre en ligne leurs archives au-delà d'une certaine durée (en raison de la limitation de la durée de conservation des données). Si aucune garantie européenne ou nationale relative aux traitements de données personnelles n'était assurée à la presse, celle-ci pourrait alors être traitée comme n'importe quelle entreprise. Les activités de presse seraient ainsi soumises au pouvoir de contrôle et de sanction de l'autorité de contrôle, en l'occurrence la Cnil ; or le projet de règlement prévoit des sanctions pécuniaires pouvant aller jusqu'à 100 millions d'euros ou 5 % du chiffre d'affaires annuel mondial… Rappelons que la Cnil aura assurément un rôle important dans l'adoption des exceptions de l'article 80 du règlement. Elle a en effet un pouvoir de « proposition législative » et doit être consultée sur tout projet de loi ou de décret relatif à la protection des données personnelles (article 11, 4o, b, loi Informatique et Libertés). Or, la Cnil milite pour un droit à l'oubli élargi au profit des personnes. Dans une consultation, elle a en effet précisé (4), au sujet du droit à l'oubli appliqué à la presse, qu'elle était favorable à « l'anonymisation de l'identité du titulaire du droit » et, s'il y a lieu, à « l'effacement des éléments permettant de l'identifier » ; elle prône également « la désindexation du ou des articles concernés dans les moteurs de recherche » et « la définition concertée d'une durée au-delà de laquelle les articles diffusés en ligne devraient être versés dans un fonds d'archives accessible en ligne, mais uniquement sur abonnement ». Ceci pourrait entraîner de réelles contraintes pour les entreprises de presse, mais également imposer aux éditeurs un modèle économique.
Rédigé ainsi, le droit à l'effacement issu du projet de règlement européen pourrait donc porter atteinte à l'activité des entreprises de presse. Le législateur européen n'a pas pris la mesure de sa spécificité ni de la nécessité de maintenir un équilibre entre le droit des personnes et le droit d'informer. Sans exception claire sur les traitements de données à caractère personnel au profit des organismes de presse, le projet de règlement européen pourrait permettre une ingérence sans précédent dans l'activité journalistique des États membres de l'Union européenne.
La confrontation de deux libertés fondamentales ne peut en aucun cas se solder par la disparition de l'une au profit exclusif de l'autre. Il faudra être vigilant et rappeler ce principe au législateur national lors de l'adoption des exceptions de l'article 80 du projet de règlement, si ce dernier est adopté en l'état.
1er janvier 2014 - Légipresse N°312
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