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Tribune


01/09/2009


HADOPI: et l'oeuvre?



 

S'il y a bien un texte qui est redevenu d'actualité en ces temps de parcours législatif fiévreux, de discussions passionnées et de clivages apparemment radicaux, c'est la Déclaration universelle des droits de l'homme, dont l'article 27 prévoit un équilibre entre le droit de participer à la vie culturelle et la protection des intérêts moraux et matériels des auteurs.
Ce texte s'opposerait au droit d'autorisation des auteurs, selon le chantre de la nouvelle licence globale, Philippe Aigrain, lequel dessine, dans son ouvrage Internet et création (1), une sorte de new world numérique libéralolibertaire, très coûteux, dans lequel les oeuvres ne sont plus que des informations, d'où l'impératif d'y accéder sans frein. La Commission européenne a déjà tracé le sillon du renforcement des droits du public, avec la multiplication des exceptions, dans sa directive de 2001.
Après avoir considéré les oeuvres comme une information, elle les considère du point de vue de ce qu'elles apportent à la connaissance, et non plus du point de vue des auteurs, dans son dernier Livre vert (voir le rapport critique de l'AFPIDA sur son site) (2).
Ces évolutions sémantiques ne sont pas à pur effet symbolique.
Elles mettent à mal le principe de la protection de l'auteur et développent une logique contributive : le concept d'« oeuvre transformative » proposé par la Commission préconise que l'internaute ait le droit de transformer l'oeuvre sans l'accord de l'auteur, allant jusqu'à le dire lui-même auteur au nom d'un principe d'innovation et de progrès. Voilà donc ce à quoi rêvent certains en Europe.
En France, les partisans de la licence globale rêvent de mettre définitivement à terre le droit d'autorisation des auteurs pour défendre la diversité culturelle et permettre aux internautes d'avoir librement accès à la culture. Pour éviter que les industries culturelles détruisent « chez chacun des capacités qui sont essentielles à la construction d'une culture partagée », Aigrain encourage chacun à se faire le passeur de l'oeuvre, en toute liberté, avec des systèmes de contrôles par sondage, et une répartition dont il annonce qu'elle sera essentiellement un revenu d'appoint, car elle devra aussi servir à financer la culture. Ce qui rejoint le rêve de Jacques Attali (3), qui propose de mettre un terme au monopole sur internet, au profit d'une contribution créative, et d'en finir là avec les politiques d'aides à la création, non plus au nom de l'antienne du marché libre et non faussé, mais de ce nouvel ordre du monde qui permettra de supprimer chronologies des médias et aides de l'État en faisant uniquement reposer l'aide à la création sur des fonds privés.
Et à quoi rêve notre législateur ? Après la censure du Conseil constitutionnel du projet de loi adopté le 13 mai 2009, dit HADOPI I, le gouvernement a remis le fer au feu, tout en promulguant une partie du projet. On sait que le Conseil constitutionnel a censuré la loi, dans sa décision 2009-580 DC du 10 juin 2009, rejoignant les nombreuses critiques qui avaient été émises, dont celle de la Ligue des droits de l'homme (4), pour deux motifs principaux: La négligence coupable et la présomption d'innocence S'il approuve l'obligation de surveillance de l'accès à internet (premier alinéa de l'article 336-3), le Conseil constitutionnel rappelle le principe de la responsabilité du fait personnel, et refuse le renversement de la charge de la preuve qui imposait à l'internaute de démontrer, selon la loi, qu'un tiers avait utilisé son internet pour éviter une sanction privative de droits (att. 17, 18 et 19).
Le législateur maintient, dans le projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet, dit HADOPI II, dans son dernier état des discussions (24 juillet 2009), la suspension de l'internet pour négligence caractérisée. Pour ne pas encourir le reproche précédent, le législateur ne prévoit plus la possibilité pour le titulaire de l'accès à internet de prouver qu'un tiers a utilisé sa ligne, la sanction découlant de l'absence de sécurisation. La présomption d'innocence est-elle ainsi préservée? Le Conseil constitutionnel le dira.
La procédure juridictionnelle Le Conseil constitutionnel a considéré (Att. 16) que le pouvoir de sanction, en tant qu'il vise la suspension d'internet, lequel est une modalité d'exercice de la liberté d'expression, ne pouvait être confié à une autorité administrative mais devait l'être à une juridiction.

Le projet de loi HADOPI II prévoit le recours, pour juger des délits commis sur internet, au juge unique ou à l'ordonnance pénale, laquelle ne présente pas les garanties du respect des droits de la défense et du débat contradictoire.
Le parquet peut y avoir recours « lorsqu'il résulte de l'enquête de police judiciaire que les faits reprochés au prévenu sont établis et que les renseignements concernant la personnalité de celui-ci, et notamment ses charges et ses ressources, sont suffisants pour permettre la détermination de la peine. », dixit l'article 495 du CPP. Créée à l'origine pour les contraventions du Code de la route, l'ordonnance pénale a été élargie aux délits en limitant le rôle du juge du siège, qui doit, au vu du dossier qui lui est transmis par le parquet, statuer sur la peine, ou bien renvoyer le dossier au parquet (article 495-1 du CPP). Tout cela en l'absence de la personne poursuivie, qui n'est pas convoquée au stade de l'ordonnance. Le “prévenu” (le terme est-il adéquat ?) se voit ensuite notifier l'ordonnance soit par lettre recommandée, soit par le procureur de la République, et dispose d'un délai d'opposition pour bénéficier d'un procès contradictoire, avec assistance d'un avocat. Le parquet aussi peut faire opposition. Les parties civiles ne sont pas conviées, et peuvent ensuite citer le prévenu devant le tribunal correctionnel qui statue à juge unique sur les intérêts civils.
Le projet de loi indique que la personne coupable de contrefaçon sur internet peut être condamnée, outre à de la prison et à une amende, à une peine complémentaire de suspension d'accès d'un an maximum: le système de l'ordonnance pénale semble destiné à favoriser ce type de peines.
Un nouvel article 335-7-2, ajouté en juillet par l'Assemblée Nationale, prévoit que pour prononcer la peine de suspension et en déterminer la durée, « la juridiction prend en compte les circonstances et la gravité de l'infraction ainsi que la personnalité de son auteur, et notamment l'activité professionnelle ou sociale de celui-ci, ainsi que sa situation socio-économique. La durée de la peine prononcée doit concilier la protection des droits de la propriété intellectuelle et le respect du droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile. » Le bruit du boulet de la censure a-t-il soufflé près des oreilles de nos parlementaires ? La Commission des droits de l'HADOPI doit préparer le travail du parquet, et suppléer au travail de la police. Or le projet de loi ne fait pas obligation aux agents d'auditionner les internautes. Les dispositions prévues à l'article 1er du nouveau projet de loi sont à cet égard passablement contradictoires, puisqu'elles affirment dans le même temps que les personnes concernées ont le “droit” de faire valoir leur position. Sans audition, comment les informations requises par la loi pour la procédure de l'ordonnance pénale, rappelées supra, seront-elles portées à la connaissance de la juridiction? Autre contradiction, le but du gouvernement est de s'acquitter sans bourse délier de la poursuite pénale des internautes contrefacteurs. Pour ceux-ci, l'ordonnance pénale pourra suspendre internet. Mais les simples “négligents” devront eux être jugés… devant le tribunal correctionnel, si l'on veut suspendre leur abonnement.
Et les mineurs ne pourront, en tout état de cause, faire l'objet d'une ordonnance pénale, et se retrouveront devant la juridiction des mineurs. On aurait voulu disséminer le contentieux qu'on ne s'y serait pas pris autrement. Enfin, exceptionnellement, la victime pourra se constituer partie civile. Mais comment sera-t-elle informée? Rien n'indique qu'elle doive l'être, ni par la Commission des droits, ni par le parquet, ni au stade juridictionnel. Quel imbroglio ! Que le législateur prévoie une sanction pénale pour les infractions au droit d'auteur sur internet n'a rien de choquant (mis à part qu'elle existe déjà). Puisqu'il s'agit de la suspension d'internet, et qu'il en va, a justement dit le Conseil constitutionnel, d'une liberté fondamentale, il faut s'assurer que le débat judiciaire apporte une réponse claire aux questions suivantes: - Quelles oeuvres ont été téléchargées? Étaient-elles protégées? - L'internaute le savait-il? Avait-il l'intention de contrefaire? - Qui est le “téléchargeur”? - Comment les auteurs peuvent-ils faire valoir leurs droits? La “protection pénale”, oxymoron maladroit qui prétend renverser la perspective du procès pénal au bénéfice des victimes, ne réglera pas le débat. Le droit d'auteur est devenu, peut-être définitivement, impopulaire. Il est donc à repenser, de toute urgence. Le public n'a pas un droit imprescriptible et gratuit à accéder aux oeuvres. Mais on ne répond pas à un tel problème de société avec une loi pénale. L'équilibre à trouver entre intérêt du public et des auteurs ne doit pas réduire l'oeuvre à une information.
L'oeuvre n'est pas non plus réductible à un message ou un témoignage (5), comme le défend Franck Louvrier dans un parallèle hasardeux entre défense de la liberté d'expression et HADOPI. Où l'on voit que le relativisme sert à tout justifier, répression ou licence globale.
La solution du problème passe sans doute en partie par une redéfinition de l'oeuvre: il serait bon que l'on se mette d'accord sur l'objet du débat.
1er septembre 2009 - Légipresse N°264
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