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Chroniques et opinions


05/12/2019


Podcasts, premières questions juridiques



L'offre des podcasts s'est considérablement développée ces deux dernières années en France. Derrière la mise en place des usages, se pose la question du régime juridique applicable. La grande majorité de ces contenus provenant d'émissions diffusées par les radios puis mises en ligne sans restriction par les éditeurs, l'exercice du droit de propriété sur ces programmes soulève des interrogations. Dans un secteur caractérisé par la profusion de l'offre et par l'apparition de plateformes de distribution, le marché qui se dessine renvoie aussi à la question de l'accès aux podcasts et au risque de pratiques anticoncurrentielles.

 

La radio connaît un regain d'intérêt. Plus exactement, les contenus audio attirent de nouveaux auditeurs qui souhaitent s'informer, se cultiver et se divertir loin du carcan des horaires de programmation. Plus encore, indépendamment du canal de diffusion linéaire d'un service de radio, des producteurs ont imaginé s'adresser au public, directement en ligne, en proposant des fictions et des reportages à écouter. Cette offre de podcast(1) a réellement pris son envol, en France, au cours de la période 2018-2019. Il est vrai que l'écoute en mobilité, notamment pendant les temps de transport, est facilitée par les évolutions technologiques qui ont permis le téléchargement des contenus audio sur les smartphones.

Les principaux fournisseurs de podcasts sont les éditeurs de services de radios et en particulier Radio France. D'abord tentés par une stratégie d'hyperdistribution, les éditeurs ont commencé à s'intéresser à l'exploitation de leurs programmes en ligne lorsque des plateformes ont agrégé, presque à leur insu, les contenus audio disponibles pour les proposer ensuite aux utilisateurs.

C'est ainsi que, derrière le développement des usages, les podcasts posent d'abord la question de la propriété des contenus et du régime juridique applicable. Dans un secteur caractérisé par la profusion de l'offre et par l'apparition de plateformes de distribution, le marché qui se dessine renvoie aussi à la question de l'accès aux podcasts et au risque de pratiques anticoncurrentielles.

I – La question du contenu

Dès lors que le nombre de podcasts ne cesse d'augmenter, la fonction d'intermédiaire entre les éditeurs et le public est apparue nécessaire pour classer, par thèmes puis par affinités (grâce aux algorithmes), l'ensemble des contenus audio.

Toutefois, étant donné que l'immense majorité de ces contenus provient d'émissions diffusées par les radios puis mises en ligne sans restriction par les éditeurs, l'exercice du droit de propriété sur ces programmes a soulevé plusieurs interrogations.

A – Description du service

1 - Une profusion de contenus

D'un point de vue éditorial, il faut distinguer, d'une part, les podcasts qui consistent uniquement à reprendre les émissions diffusées sur les services de radio pour une écoute en rattrapage et, d'autre part, les podcasts « natifs » qui correspondent à une création originale et qui répondent à une nouvelle demande. Ils plaisent à des communautés d'auditeurs qui attendent des informations précises sur des sujets pointus avec un ton et une écriture qui distinguent cette offre médiatique de l'univers de la radio classique(2).

On trouve d'un côté les grands médias qui cherchent à valoriser leurs contenus et leurs archives et, de l'autre côté, de jeunes entreprises qui cherchent à s'adresser différemment au public. C'est ainsi que Binge, Nouvelles écoutes ou Louie Média, produisent des contenus audio originaux qui peuvent se présenter sous la forme d'épisodes d'une série(3).

L'inconvénient de l'offre de podcasts réside cependant dans sa très grande profusion ce qui rend difficile, pour le public, la recherche de contenus. C'est la raison pour laquelle, le marché s'oriente vers le développement d'une offre d'agrégateurs pour regrouper sur une seule plateforme non seulement les contenus en rattrapage des radios mais aussi un large choix de podcasts natifs.

2 - Le rôle des plateformes

Le développement des plateformes est une réponse à la multiplicité des offres de produits et de services rendue possible dans l'économie numérique où l'enjeu porte désormais sur « l'agrégateur final », c'est-à-dire sur l'opérateur capable de proposer aux consommateurs une navigation fluide et intuitive couvrant l'offre exhaustive des propositions linéaires et non linéaires(4).

Partant en effet du constat qu'il était très laborieux de trouver des podcasts regroupés et présentés sous la forme d'un catalogue, les sociétés Tootak ou Majelan, par exemple, ont cherché à répondre à cette préoccupation en proposant d'agréger des contenus multi-éditeurs à la manière d'un « Netflix des podcasts »(5).

Le droit de la communication audiovisuelle connaît depuis longtemps la fonction des tiers intermédiaires. Elle est exercée par les « distributeurs de services » dont le rôle consiste à établir avec les chaînes des relations contractuelles en vue de constituer une offre de services de communication audiovisuelle mise à disposition du public(6).

Toutefois, dans la mesure où les services audio en podcast ne relèvent pas – curieusement – de la définition des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), qui ne concernent que les services permettant le « visionnage » de programmes(7), les agrégateurs de podcasts ne peuvent être les distributeurs de services de la communication audiovisuelle. La régulation sectorielle et l'office du Conseil supérieur de l'audiovisuel ne sont donc pas opposables aux services de podcasts.

Dans ces conditions, c'est le droit de la communication au public en ligne qui doit s'appliquer. Les sociétés Tootak et Majelan relèvent ainsi de la définition des opérateurs de plateforme en ligne posée la loi no 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique(8).

Pourtant, à la manière du distributeur de services de communication audiovisuelle, l'opérateur de plateforme en ligne propose, lui aussi, un référencement et un classement des contenus. Et l'on comprend bien qu'en agrégeant tous les podcasts disponibles et, au premier chef, ceux des grands médias radio la question des droits de propriété intellectuelle allait vite se poser.

B – Conditions de mise à disposition du public

Pour toucher le grand public, il faut d'abord lui présenter les émissions en rattrapage qu'il connaît. Ce n'est qu'à cette condition que la plateforme peut ensuite présenter une offre plus segmentée de podcasts natifs, y compris par abonnement. Dès lors, constatant que les programmes de radio en rattrapage étaient librement accessibles sur internet, les opérateurs de plateforme en ligne ont considéré que rien n'interdisait la reprise, dans leurs catalogues, des émissions correspondantes.

1 - Flux audio et liberté des plateformes

L'argument est séduisant. Les plateformes, simples agrégateurs, se borneraient à reprendre les contenus que les éditeurs mettent eux-mêmes en ligne, gratuitement, dans un format libre et sans restriction. En d'autres termes, étant donné que les émissions sont mises à la disposition du public sur internet, rien n'empêcherait un agrégateur de se comporter comme un utilisateur quelconque pour les classer et proposer ensuite à ses utilisateurs les flux des émissions.

Ainsi, entre l'utilisateur individuel et la plateforme, il n'y aurait pas de différence de nature. L'un comme l'autre récupère les contenus audio mis en ligne par l'éditeur. Il n'y aurait qu'une différence de degré ou d'échelle. Quelques dizaines de podcasts pour le premier, plusieurs milliers pour le second.

À l'appui de cette approche, il est tentant de solliciter les décisions Svensson et BestWater rendues en 2014 par la Cour de justice à propos des liens hypertextes et de la technique de transclusion.

Dans la première affaire, les juges ont estimé que la fourniture d'un lien hypertexte vers une œuvre protégée ne nécessitait l'autorisation de l'auteur que si l'œuvre était portée à la connaissance d'un public nouveau.

Dès lors que la communication au public a eu lieu depuis le site initial et que le lien litigieux se contente d'y renvoyer depuis un autre site, la Cour retient que les utilisateurs de ce second site doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale « et donc comme faisant partie du public pris en compte par les titulaires du droit d'auteur lorsque ces derniers ont utilisé la communication initiale »(9). Par suite, aucune autorisation des auteurs n'est rendue obligatoire.

Cette analyse a été confirmée dans la seconde affaire. Il a en effet été jugé que « le seul fait qu'une œuvre protégée, librement disponible sur internet, est insérée sur un autre site internet au moyen d'un lien utilisant la technique de la transclusion (…) ne peut être qualifié de communication au public, au sens de l'article 3 de la directive du 22 mai 2001, dans la mesure où l'œuvre en cause n'est ni transmise à un public nouveau ni communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de celui de la communication d'origine ».

Ainsi, dès lors que Radio France, par exemple, met elle-même en ligne toutes ses émissions en les rendant librement accessibles, rien ne s'opposerait à ce qu'un opérateur de plateforme reprenne le flux correspondant. Cette opération n'aurait pas pour effet de porter les œuvres concernées à la connaissance d'un public nouveau puisqu'elles ont déjà été divulguées auprès de tous les internautes.

Toutefois, un tel raisonnement se heurte en réalité à la protection accordée par le droit de la propriété intellectuelle.

2 - Primauté du droit voisin des organismes de radiodiffusion

Dans un cas comparable, la question a été posée de savoir si la société Playmédia pouvait reprendre sur son site internet Playtv, par la même technique de la transclusion, les programmes mis en ligne par France Télévisions sur son propre site Pluzz.

Or, la Cour d’appel de Paris a explicitement jugé en 2016 que la notion de « communication à un public nouveau » par le biais de liens profonds telle que définie par l'arrêt Svensson et l'ordonnance BestWater ne s'applique pas à la protection des droits voisins des entreprises de communication audiovisuelle et que le législateur français peut reconnaître aux titulaires de ces droits voisins, une protection non expressément visée par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information.

En vertu de l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, interprété à la lumière de l'article 3, § 2, de la directive 2001/29/CE précitée, France Télévisions, en sa qualité d'entreprise de communication audiovisuelle, bénéficie du droit exclusif d'autoriser la mise à la disposition du public en ligne et à la demande de ses programmes, « y compris par le recours à des liens profonds par la technique de la transclusion ».

Dans ces conditions, le droit voisin reconnu à France Télévisions sur ses programmes vaut aussi, logiquement, pour les podcasts de Radio France et des autres éditeurs de services de radio. Quand bien même les radios mettent en ligne leurs émissions, les opérateurs de plateformes en ligne ne peuvent en reprendre le contenu sauf à commettre un acte de contrefaçon de leurs droits voisins.

La question de la propriété et du droit exclusif d'autoriser la mise à disposition du public en ligne et à la demande des programmes étant tranchée, reste cependant la question de l'abus du droit de propriété et le risque de pratiques anticoncurrentielles.

II – La question de l'accès

Dès lors que l'on sait, d'une part, que les services de radio disposent d'un droit exclusif sur leurs contenus proposés en podcast et que l'on convient, d'autre part, que les plateformes en ligne ont besoin d'accéder à ces podcasts pour développer leurs portails et répondre à la demande de classement et de référencement du public, alors on comprend que les radios sont en position de force vis-à-vis des opérateurs de plateformes. Par conséquent, si l'on veut limiter le risque de pratiques anticoncurrentielles des éditeurs, il importe de se reporter aux principes posés le droit de la concurrence.

A – Identification d'un marché

Le marché concerné met en présence l'offre de podcast des éditeurs et la demande des utilisateurs. En raison de l'abondance de l'offre et de sa multiplicité, il se caractérise désormais par la présence de plusieurs plateformes dont l'objet consiste à mettre en relation éditeurs et consommateurs.

La société Apple propose ainsi sa propre plateforme avec l'application Apple Podcast installée sur tous les iPhones (25 % des smartphones). Pour les autres terminaux qui utilisent le système Endroit (75 % des smartphones), Google Podcast est disponible depuis juillet 2018. De même, les plateformes Deezer et Spotify complètent désormais leur offre musicale par des podcasts natifs. La société Audible France (filiale d'Amazon), qui met notamment en ligne un service de livres audio, a décidé de distribuer à son tour des podcasts originaux français. S'ajoutent à cette liste des plateformes françaises, en particulier Tootak et Majelan déjà mentionnées.

Or, conformément à l'analyse concurrentielle, dès lors que les usages font apparaître l'existence de tiers distributeurs d'une offre de contenus – c'est le cas des plateformes en ligne précitées – il faut envisager l'existence d'un marché intermédiaire de la distribution.

Il existerait donc, dans le secteur qui nous intéresse, un marché amont qui serait le lieu de la rencontre entre l'offre des détenteurs de droits et des producteurs audio et la demande des éditeurs de services de radio. Le marché intermédiaire serait celui de la distribution mettant en relation les chaînes de radio et les plateformes. La demande des auditeurs et l'offre des plateformes caractériseraient le marché aval.

On estime que 85 % de la consommation de podcasts en France correspond à une écoute en rattrapage des programmes des services de radio. La part qui reste correspond aux contenus natifs qui n'ont jamais été diffusés à l'antenne et qui n'ont d'ailleurs pas été conçus pour ça.

Du point de vue de l'analyse concurrentielle, cela signifie qu'une plateforme qui ne parviendrait pas à reprendre les flux des émissions en rattrapage des services de radio serait exclue du marché aval. En d'autres termes, l'offre d'un opérateur de plateforme en ligne qui ne présenterait pas les podcasts des grandes radios diffusées en France ne parviendrait pas à se développer.

L'attractivité d'une plateforme en ligne repose par conséquent sur sa capacité à mettre à la disposition du public l'offre des radios généralistes. En particulier, celle de la société nationale de programme Radio France. Au cours de l'année 2018, Radio France a en effet comptabilisé environ 60 millions de téléchargements de podcasts par mois dont 23,5 millions pour les seuls podcasts de France culture.

Par conséquent, il est permis de penser que Radio France dispose d'une puissance de marché qui rend ses programmes incontournables pour composer un bouquet attractif de podcasts.

B – Risques de pratiques anticoncurrentielles

1 - Un risque de discrimination lié au refus de formaliser une offre commerciale

L'actualité récente a montré que Radio France semblait très réticente à ce que ses podcasts soient repris dans les offres de tiers distributeurs, en particulier celle de la plateforme Majelan.

En revanche, la société nationale de programme paraissait accepter – tout en regrettant de perdre le lien avec l'auditeur – que les grandes plateformes mondiales dominent le marché aval. Selon les déclarations de Sybil Veil, sa présidente, environ 85 % des podcasts de Radio France sont ainsi écoutés à partir de ces plateformes. Et plus de la moitié via la seule application Apple Podcasts.

Il résulte pourtant de la définition posée à l'article L. 111-7 précité du code de la consommation que Apple Podcast, Google Podcast, Audible ou encore Deezer sont des opérateurs de plateformes en ligne. Ils relèvent par conséquent de la même nature juridique que la plateforme Majelan.

Dans ces conditions, il serait juridiquement hasardeux de privilégier certaines plateformes et d'en exclure d'autres.

Sur le fondement des dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce et du c) de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l'Autorité de la concurrence a en effet rappelé, dans la décision no 10-MC-01 du 30 juin 2010, que le fait, pour un acteur économique en position dominante, d'imposer des conditions différentes à des acheteurs se trouvant dans des situations équivalentes constitue un abus.

Par des différences de traitement injustifiées, Radio France pourrait ainsi, du fait de la position particulière qu'elle occupe à l'égard des opérateurs de plateformes, désavantager de manière artificielle telle ou telle plateforme par rapport aux autres opérateurs.

En déséquilibrant ainsi les chances des différentes plateformes en compétition, Radio France priverait le marché et in fine les consommateurs des bénéfices attendus d'une concurrence par les mérites.

Aux termes de la décision no 14-D-06 du 8 juillet 2014, l'Autorité de la concurrence a indiqué que ce type de comportement relève de la catégorie des abus d'exploitation, étant donné qu'il procède de l'utilisation exagérée ou non objective d'un pouvoir de marché, de nature à porter atteinte au bon fonctionnement des marchés, au-delà du seul intérêt de l'entreprise en cause.

2 - Un risque d'éviction du marché en cas d'exclusivité

S'il advenait que Radio France prive les autres plateformes concurrentes d'un accès à ses podcasts, elle créerait une barrière à l'entrée susceptible d'être sanctionnée au titre des pratiques anticoncurrentielles. Les consommateurs en seraient également les victimes puisque, à défaut d'être client des quelques plateformes privilégiées par Radio France – on pense en particulier à Apple, les auditeurs n'auront bientôt plus accès aux contenus du groupe public. Cette approche réactive par ailleurs le risque d'une concurrence en silo où chaque plateforme disposerait d'une exclusivité avec un éditeur donné.

Il n'est cependant pas interdit, par principe, à une entreprise en position dominante sur un marché de conclure un accord d'exclusivité. Toutefois, un tel accord caractérisera un abus prohibé dès lors qu'il pourra être établi qu'il porte atteinte à la liberté d'exercice de la concurrence.

Pour s'en assurer, il faut se reporter à la grille d'analyse mise en place par le Conseil de la concurrence en 2007 afin de vérifier que « les clauses d'exclusivité n'instaurent pas, en droit ou en pratique, une barrière artificielle à l'entrée sur le marché en appréciant l'ensemble de leurs éléments constitutifs : le champ d'application, la durée, l'existence d'une justification technique à l'exclusivité, et la contrepartie économique obtenue par le client ».

Ces critères ont été précisés depuis par l'Autorité de la concurrence qui retient que « l'effet restrictif de concurrence résultant des clauses d'exclusivité dépend de nombreux facteurs, parmi lesquels le champ et la portée de l'exclusivité, la durée ou la combinaison dans le temps des contrats, les conditions de résiliation et de renouvellement, la position des opérateurs et les conditions régnant sur le marché en cause, ou encore la position des clients ou des fournisseurs ».

Or, les réticences et l'attitude de Radio France pourraient être de nature à fausser l'équilibre concurrentiel en évinçant du marché les opérateurs Tootak ou Majelan. C'est en fonction de la combinaison de certains des critères principaux rappelés ci-dessus qu'il est possible d'apprécier l'effet de verrouillage.

a – S'agissant du champ et de la portée de l'exclusivité, l'Autorité de la concurrence a souligné en 2010 dans la que « l'exclusivité ne doit pas présenter un caractère trop général qui aboutirait à interdire aux autres opérateurs potentiels l'accès au marché ».

Il est certain que dans la mesure où les contenus de Radio France sont indispensables pour composer une offre de services audio à la demande, toute exclusivité portant sur la totalité des podcasts, ou sur la part la plus attractive d'entre eux, serait de nature à restreindre les possibilités d'entrée sur le marché de distributeurs tiers.

b – S'agissant de la position des opérateurs, il est admis que « la barrière à l'entrée sur le marché sera d'autant plus élevée que l'un ou l'autre des contractants, voire les deux, disposent de parts de marché élevées ».

Les smartphones d'Apple représentent 25 % du marché. Dans la mesure où Apple podcast figure déjà dans l'interface des iPhones, la part du constructeur sur le marché aval de la distribution des services audio à la demande peut être sensiblement la même. Au demeurant, selon Sybil Veil, entre 40 à 45 % des accès aux podcasts de Radio France a lieu par l'intermédiaire de cette seule application.

Par ailleurs, du côté de l'éditeur, c'est-à-dire de l'autre contractant, il a été montré la puissance de marché de Radio France. Par conséquent, l'examen de ce critère renforce l'existence d'un risque de barrière à l'entrée.

c – S'agissant des justifications techniques ou économiques, le 2° du I de l'article L. 420-4 du code de commerce écarte l'interdiction qui frappe les clauses d'exclusivité dès lors qu'elles ont, au final, un effet bénéfique consistant à « assurer un progrès économique (…) et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause (…) ». Cette exonération est en général admise pour prendre en considération les investissements qui ont été consentis et les soustraire au jeu de la concurrence.

Dans cette perspective, l'Autorité de la concurrence estime que les clauses d'exclusivité « peuvent être nécessaires pour assurer la rentabilité d'une activité, par exemple, du fait de l'existence d'investissements spécifiques ou du fait du caractère particulièrement risqué de l'activité ». Suivant la même analyse, il a été admis que les clauses d'exclusivité « peuvent (…) être nécessaires pour assurer la rentabilité d'une activité, en raison notamment de l'existence d'investissements spécifiques que l'entreprise n'engagerait pas si elle ne bénéficiait pas d'une exclusivité ».

Mais, en l'espèce, il n'existe pas, à notre connaissance, d'investissements spécifiquement consentis par Radio France pour la valorisation de ses podcasts justifiant, pour en assurer la rentabilité, d'accorder une exclusivité à une plateforme en particulier.

d – S'agissant de la contrepartie obtenue par le client, elle semble inexistante. L'exclusivité priverait des contenus de Radio France les utilisateurs des autres plateformes sans pour autant favoriser l'émergence d'un service innovant que les partenaires de l'accord seraient les premiers à proposer.

En effet, le marché de la distribution de podcasts est en plein essor et n'a nullement besoin d'être consolidé par une stratégie – curieuse – de raréfaction de l'offre. Au demeurant, il ne semble pas que la société Apple ait prévu la moindre contrepartie financière en faveur de Radio France. Par ailleurs, le renforcement de cette relation conduirait à exclure près de 75 % des utilisateurs de terminaux mobiles.

Plus encore que l'abus d'exploitation qui en résulterait, le recours à l'exclusivité poserait la question de l'attitude de groupe public vis-à-vis de ses auditeurs, lesquels ont déjà, bien souvent, acquitté le paiement de la contribution à l'audiovisuel public permettant à Radio France de réaliser les contenus qu'elle entendrait maintenant réserver à certains d'entre eux.

Au-delà, il semble que les plateformes indépendantes de podcast aient réveillé en quelque sorte les éditeurs de service de radio en mettant en lumière l'existence d'un marché et l'intérêt du public pour cette nouvelle offre audio. Les grandes radios ont réagi en retenant l'idée d'une plateforme commune pour leurs contenus sur le modèle de Salto qui rassemble les contenus de TF1, M6 et France Télévisions.

Si l'on suit l'analogie, le « Salto de la radio » devra respecter les mêmes conditions que celles imposées aux grandes chaînes de télévisions. Et l'Autorité de la concurrence a justement rappelé que, dans la mesure où les grandes chaînes étaient incontournables pour permettre aux distributeurs de télévision de proposer des offres attractives aux consommateurs, il convenait qu'elles proposent directement à tout distributeur tiers, « sans l'intermédiaire de Salto (…), la distribution de leurs chaînes de la TNT en clair et de leurs services et fonctionnalités associés, à des conditions objectives et non discriminatoires ».

Le principe d'un must offer, c'est-à-dire l'obligation pour les éditeurs de services de radio, de proposer à toutes les plateformes intéressées une offre commerciale de reprise dans des conditions conformes aux exigences du droit de la concurrence, est donc posé.

G.W.

 

5 décembre 2019 - Légipresse N°376
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